Mais , petit à petit , les souvenirs se fatiguent . Parfois vous ne savez même plus comment ça a pu vous arriver un jour , d'avoir quinze ans , et parfois vous ne comprenez pas comment ça a pu finir , comment vous avez fait pour vous retrouver là , toute seule , si vieille , si loin de tous ceux que vous avez aimés . Où est votre enfant qui jouait dans le jardin . Où sont les écorchures aux genoux que vous guérissiez avec un bisou . Où est parti son père , et la famille que vous formiez . Et là , vous découvrez le fin mot de tout ça . Et vous comprenez pourquoi on n'en parle pas . Pourquoi on ne peut pas le dire aux jeunes . Pourquoi , quand on les aime , on ne les embête pas avec ça . Et pourquoi ils ne veulent pas entendre . Pourquoi vous les ennuyez . Pourquoi ils ne viennent jamais vous voir et pourquoi ils repartent si vite , comme si vous alliez leur transmettre une maladie avec votre vieillesse . Oui , il faut toute une vie pour regarder la vie en face .
La nuit n'est peut-être que la paupière du jour .
« Voilà qu’elle se mettait à ressentir les tragédies des autres, comme si elle n’avait pas assez de la sienne. » (p. 443)
Pendant qu'elle pleurait, j'ai recouvré cette impression qu'elle faisait naufrage, cette envie de plonger et d'attraper sa main. Mais les flots dans lesquels elle se noie sont dangereux. C'est un océan de larmes au-dedans, une eau sombre peuplée de souvenirs qui sont comme ces poissons des profondeurs : des formes de vie qui ont connu la lumière autrefois, puis sont redevenues des dents aveugles et des gueules voraces dans les ténèbres.
Cet océan, j'ai compris que je n'y aurai jamais accès. À vrai dire, je ne veux pas non plus y plonger.
Dans le fond, l'échec et le néant sont la règle générale. C'est la rencontre qui constitue l'exception, le miracle.
« Benjamin Lucas lui-même ne pouvait pas deviner qu’elle était la fiancée de l’homme qu’il avait tué. » (p. 43)
J’ai fait des stocks de tout, d’énergies, de savoir-faire, mais il y a une chose dont je suis complètement dépourvu, une chose vitale qui me manque : je n’ai pas de provision d’amour.
Impossible, ça ne se conserve pas en boîte.
(p. 412)
Le bonheur s’est mis à battre comme un tambour sous ma peau. C’est une phrase à la con, mais quand j’y repense, c’est ce qui me vient.
(p. 100)
« Quand j’étais petit, le curé disait que le diable était en chacun de nous… Mais ici, le diable, quand on le cherche, c’est toujours dans la montagne qu’on va. » (p. 176)
La nuit n’est peut-être que la paupière du jour