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Critique de Lucilou


Je viens de terminer « Miel et Vin » et j'en suis enivrée plus sûrement -et c'est dire- que si j'avais étanché ma soif dans trois bouteilles de sauternes et presque autant que si Brangien m'avait fait avaler de son vin herbé. Enivrée, envoutée par Myriam Chirousse et sa plume ample, chatoyante, sensuelle, de miel et de vin, de sang et de soleil aussi.
Et en même temps, pouvait-il en être autrement ? Plus que tout, j'aime les romans sombres et un peu vertigineux, presque gothiques, historiques, intenses et bien écrits surtout. Plus que tout, j'aime les sagas un peu fleuves et feuilletonnesque comme le XIX° ème siècle savait si bien les écrire et les personnages complexes, excessifs. de ces personnages qu'on aime qu'au creux de la fiction.
Et puis, il y a longtemps que je n'avais pas succombé aux sirènes du roman historique, au point que cela me manquait. Sceller ces retrouvailles avec « Miel et Vin » fut à cet égard une idée géniale, d'autant plus géniale que née du hasard puisque c'est ce dernier qui m'a conduite à l'ouvrage.
Bien sûr que tout n'y est pas parfait, que le roman n'est pas exempt de maladresses ou de faiblesses, mais qu'importe : son souffle m'a emportée, bousculée, malmenée et j'y ai retrouvé tout ce que j'aime, j'y ai retrouvé Heathcliff, « Sambre », « Lady Oscar » et « Les Miroirs dans la boue ». Les « Chouans » aussi (ceux de Philippe de Broca, beaucoup moins ceux de mon cher Balzac). J'y ai retrouvé un contexte historique précis, bien traité et rigoureux ; des paysages à se damner ; des intrigues haletantes et une chute… une chute et un dénouement qui posent autant de questions qu'il apporte de réponses. J'y ai retrouvé également cette esthtique du conte qui m'est si chère, qui me fascine toujours tellement.

« Miel et Vin » commence en effet comme un conte gothique dans un château, joyau serti dans les paysages de la Dordogne, par la naissance d'un enfant maudit qui n'apporte autour de lui que mort et désolation. Enfin, c'est ce qu'on dit, c'est ce qu'ils disent tous.
Il se poursuit avec un incendie dont les flammes crèvent les ténèbres de la nuit Périgourdine et une enfant abandonnée « les yeux verts noyés de cheveux roux », farouche comme il se doit.
Le premier est un bâtard qui deviendra seigneur, Charles de l'Eperai, unique héritier d'un père cruel et triste, comme le sont toujours les rois solitaires des vieilles légendes. Brun, ténébreux, violent, le jeune homme emprunte beaucoup au personnage de Heathcliff qui hante autant qu'il éclaire « Les Hauts de Hurlevent ».
La seconde sera élevée par une famille de nobliaux qui lui donnera un prénom et le nom de ses ancêtres. Judith de Montherlant grandira libre et curieuse, mal-aimée par un père adoptif revêche mais adorée par un oncle humaniste et éclairé, inventeur à ses heures perdues, toujours savant, toujours rêveur.
C'est au cours d'une noce triste et funèbre que Judith et Charles se rencontrent et tombent amoureux, d'une passion qui n'existe que dans les romans, fulgurante, incandescente et comme souvent voire toujours, cet amour là est proscrit ou malvenu.
Son temps n'est pas encore venu, et qui peut dire quand il viendra ? Alors Judith en épouse un autre et Charles disparait, malgré le désir, l'amour qui ne dit pas son nom et le feu qui couve.

Cela n'aurait pu être qu'une intrigue amoureuse un peu banale, le récit d'une passion meurtrie à la sauce Brontë, Sand et Musset mais cela aurait été sans compter sur la maîtrise et l'ambition de Myriam Chirousse qui jette ses personnages au coeur de l'Histoire : Judith et Charles se rencontrent à l'aube de la Révolution Française et du Périgord à Paris, de la prise de la Bastille à la Terreur, ils vont devoir en traverser tous les soubresauts, toutes les violences, tous les paradoxes.
A cet égard, je tiens à saluer le travail de l'auteure qui parvient à rendre limpide un contexte particulièrement riche et complexe sans éprouver le besoin de simplifier ou de nous faire un cours d'Histoire par volonté de se montrer exhaustive (ainsi, pas de défilé un peu artificiel de personnages historiques au cours des années parisiennes des personnages comme on aurait pu le craindre si ce n'est la rencontre entre Judith et Camille Desmoulins, ce qui m'a personnellement réjoui. Depuis que petite fille j'ai découvert « La Révolution Française » avec François Cluzet dans le rôle, j'ai une affection tendre et toute particulière pour ce personnage).
le dosage entre Histoire et fiction est donc maîtrisé, pertinent, parfaitement géré et concourt vraiment à la réussite du roman, un vrai bon roman historique comme je les aime.
Quand le fracas de l'Histoire et l'Histoire elle-même épousent la littérature. Et quelle Histoire ! Il y a tant à raconter, à imaginer aussi avec la Révolution Française pétrie d'autant de grandeur et de clarté que de violences et de ténèbres.

Et puis la beauté des paysages du Périgord et de ce Paris d'avant Haussmann. Les ombres et les lumières, le clair-obscur des orages qui incendient le ciel et les bois.
Et puis la beauté de cette écriture, sensuelle, hypnotique, de cette syntaxe qui s'échappe en volutes lourdes de parfums et de couleurs. La maîtrise de la prétérition et celle de la narration, du jeu des points de vue. Et cette chute…
Et puis ces personnages : les yeux de braise de Charles, la poésie un peu bancale de Gaëtan et de Guillaume, la noblesse du vieil Eperai, le désespoir d'Hélène et la bienveillance de François.

Alors certes, il reste Judith que j'ai trouvé moins complexe et dont l'évolution manque de profondeur ainsi que des ellipses maladroites, voire malheureuses ; des questions sans réponses et des silences illogiques qui nuisent à la clarté ou à la cohérence du propos mais c'est peu de choses en réalité face à l'ampleur de « Miel et Vin », face aussi à mon plaisir de lectrice envoutée.

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