Citations sur Lorsque le dernier arbre (306)
Le bois, c’est du temps capturé. Une carte. Une mémoire cellulaire. Une archive. C’est pourquoi, d’après Liam, les menuisiers-charpentiers comme lui ne manqueront jamais de travail. Parce que les gens voudront toujours avoir du bois près d’eux, que ce soit dans leurs maisons, au sol, aux murs ou au plafond, dans les cannes sur lesquelles ils s’appuient en toute confiance, leurs plus beaux instruments de musique, les objets transmis de génération en génération et les vieilles chaises à bascule, et – plus significatif encore – les boîtes qui facilitent leur voyage en terre.
Quand un menuisier-charpentier anglophone dit d’une pièce qu’elle est clear, ou « impeccable », il entend par là qu’elle n’a ni nœud ni flache, ni aucune autre imperfection. Au fil des années qu’il a consacrées au travail méticuleux du bois, à couper chaque pièce exactement à la bonne longueur pour amoureusement les emboîter avec la plus grande précision avant de polir le tout jusqu’à obtenir un lustre à vous réchauffer l’âme, Liam Greenwood s’est souvent dit que si les gens préféraient le bois « impeccable », c’est qu’ils avaient besoin de voir le temps bien empilé. Chaque année proprement et soigneusement rangée sur la précédente. Sans obstacle, sans défaut.
Tout le contraire de leurs vies.
Le meilleur moment pour planter un arbre, c’était il y a vingt ans. A défaut de quoi c’est maintenant.
De nos jours, on parle beaucoup d'arbres généalogiques, de racines, de liens du sang, etc., comme si les familles existaient de toute éternité et que leurs ramifications remontaient sans discontinuer jusqu' à des temps immémoriaux. Mais la vérité, c'est que toute lignée familiale, de la plus noble à la plus humble, commence un jour quelque part. Même les arbres les plus majestueux ont d'abord été de pauvres graines ballottées par le vent, puis de modestes arbrisseaux sortant à peine de terre.
S'il est vrai que les États-Unis se sont construits sur l'esclavage et la violence révolutionnaire, songe-t-elle en regardant les hommes travailler, alors assurément son propre pays, le Canada, est né d'une indifférence cruelle, vorace, envers la nature et les peuples autochtones. Nous sommes ceux qui arrachent à la Terre ses ressources les plus irremplaçables et les vendent pour pas cher à quiconque a trois sous en poche, et nous sommes prêts à recommencer le lendemain - telle pourrait être la devise des Greenwood et peut-être même du pays tout entier. (p.483)
Le meilleur moment pour planter un arbre, c’était il y a vingt ans. À défaut de quoi c’est maintenant.
Mais pourquoi attendons-nous de nos enfants qu'ils mettent un terme à la déforestation et à l'extinction des espèces, qu'ils sauvent la planète demain, quand c'est nous qui, aujourd'hui, en orchestrons la destruction ?
Le temps,Liam le sait, n'est pas une flèche. Ce n'est pas non plus une route. Le temps ne va pas dans une direction donnée. Il s'accumule, c'est tout_dans le corps,dans le monde_, comme le bois. Couche après couche. Claire puis sombre. Chacune reposant sur la précédente, impossible sans celle d'avant.
Willow se demande bien comment, aujourd'hui,on peut encore croire au changement politique à l'ancienne. Quand le président des États-Unis ment éhontément,quand la pluie attaque la peau, quand la nourriture est empoisonnée, quand les guerres n'en finissent jamais et que les êtres vivants les plus vieux de la planète sont abattus pour être transformés en bâtonnets de glace.
- Vous avez lu tous ces livres ?
- Oui.
- Combien ?
- Pas mal, je suppose.
- Vous devriez en être fière, dit-il en observant les étagères surchargées.
- Ah, je le suis peut-être bien, avoue-t-elle comme si elle en était la première surprise.
- Les gens comme moi aiment quel genre de livres, d'habitude ?
- Les gens comme vous ?
- Les vagabonds. Les hommes des bois. Les voyous.
- Les voyous aiment bien Le Comte de Monte-Cristo, répond-elle malicieusement. Je ne sais pas trop pourquoi. Parce que cela parle de vengeance, sûrement. Parfois, quand on a tout perdu, il ne reste que la rancœur. Ils aiment aussi Dickens. Dostoïevski. Les romans à sensation. Les romans policiers. Ils ne s'intéressent malheureusement guère aux histoires d'amour.
Le visage d'Everett s'embrase au dernier mot. "Et les gens comme vous, ils aiment quoi ? parvient-il à articuler.
- Les gens comme moi, c'est-à-dire ? Les vieilles filles prisonnières de leur ferme ? Ce qui nous tente, ce sont les histoires d'évasion. D'aventures. Les récits exotiques. Qui se passent en Égypte. Au Siam. J'ai tellement lu sur Paris que je n'éprouve même plus le besoin d'y aller.
Un livre offre tant de correspondances avec un arbre et ses cernes, se dit-elle : les strates du temps, préservées, à disposition.