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Critique de HordeDuContrevent


J'ai eu la chance de découvrir Cixin Liu il y a quelques mois avec le somptueux Problème à trois corps suivi de la forêt sombre. Avant d'entamer le dernier tome de cette trilogie, dernier tome de plus de mille pages, j'ai eu envie de voir de quoi était capable cet auteur chinois en matière de novella avec « Terre errante ». En moins de cent pages, j'ai pu retrouver les ingrédients qui en font sa pate : des explications scientifiques poussées (ce qu'en science-fiction nous appelons la « hard SF ») enrobées de réflexions passionnantes et de poésie. Oui hard-SF et poésie…Lorsque cette dernière permet, en l'enveloppant de beauté, de me passionner pour la première. Combo étonnant. Voilà pourquoi je trouve Cixin Liu particulièrement talentueux : Que ce soit avec des milliers de pages ou au moyen d'une nouvelle de moins de cent pages, il arrive à passionner ses lecteurs avec des sujets scientifiques assez ardus.

L'idée de ce court récit peut sembler tellement improbable qu'elle en paraitrait ridicule racontée rapidement. Sauf si on le considère comme une fable. Voyez plutôt : Les scientifiques se rendent compte que le soleil devient une géante rouge massive menaçant de s'étendre jusqu'à l'orbite de la Terre et donc de vaporiser notre chère planète, d'un coup d'un seul. Un événement qui doit avoir lieu dans les quatre siècles qui ont suivi les premières observations du phénomène. Depuis, trois cent quatre-vingt années se sont déjà écoulées et une décision a été prise : l'humanité doit émigrer. Concernant la façon d'émigrer pour s'installer sur Proxima du Centaure, les partisans de la Terre se sont opposés aux partisans des vaisseaux. Les premiers considèrent que toute vie en dehors de la Terre est impossible pour les humains, c'est donc la Terre qui doit constituer notre vaisseau, vaisseau titanesque avec ce que cela implique de difficultés et de technologies, tandis que les seconds considèrent que l'humanité doit partir sur différents vaisseaux et abandonner la Terre, solution plus facile, plus rapide.
Les partisans de la Terre ont finalement gain de cause car « Seul un écosystème de la taille de la Terre et son cycle écologique d'une extraordinaire vigueur, sera capable de perpétuer la vie. Si l'humanité part dans l'espace en abandonnant sa Terre, elle sera comme un nouveau-né privé de sa mère au milieu d'un désert ».

Du fait des progrès de la technologie, et au moyen de propulseurs surpuissants, nous assistons aux différentes étapes de l'émigration depuis l'Ere du freinage, lorsque les propulseurs interrompent la rotation de la Terre en générant une poussée de sens inverse du mouvement de la planète, jusqu'à l'Ere néosolaire permettant de rallier l'orbite de Proxima du Centaure. En passant par la fuite, l'errance, dont vous imaginez bien les difficultés…Un exode de deux mille cinq cent ans qui concerne ainsi cent générations d'humains, contraints de vivre terrés.

Au-delà des aspects scientifiques qui expliquent les étapes de ce processus inimaginable, ce qui est passionnant sont les impacts que développe Cixin Liu d'une telle épopée, impacts terrestres, climatiques, phénomènes physiques, mais surtout impacts sur les humains. Désirs, craintes, centres d'intérêt, organisation sociétale sont détaillés et, fait passionnant, la culture chinoise imprègne le récit. Il m'est d'avis, comme nous en discutions avec @Indimoon (dont la critique sur ce livre est selon moi une référence) que nombre de réactions ne seraient pas les mêmes si ce récit avait été imaginé et écrit par un auteur occidental. Que ce soit le respect strict et soumis de protocoles d'urgence pour évacuer les lieux alors qu'une vague de lave se répand dans les souterrains, ou la mise en sommeil des sentiments amoureux en cette période où la survie est devenue la priorité absolue, la culture chinoise donne au récit une coloration singulière.

« A vrai dire, cela ne fait que trois ou quatre siècles que les humains ont peur du soleil. Autrefois, les hommes n'étaient pas atteints d'héliophobie, comme nous. Au contraire, le Soleil était à leurs yeux un symbole de noblesse et de gloire. En ce temps-là, lorsque la Terre tournait encore autour de son axe, les hommes assistaient chaque jour au lever et au coucher du soleil. Ils acclamaient l'aube et admiraient le crépuscule ! ».

Et surtout, surtout, ce livre est beau. Magnifique. Des scènes majestueuses et colorées ponctuent le récit, telles des étoiles scintillantes dans cette épopée somme toute sombre. Nous assistons aux derniers instants du Soleil, aux derniers couchers de soleil, à l'élévation de propulseurs gigantesques qui émettent des lumières bleues, à l'arrêt de la rotation terrestre, les scènes sont grandioses et nous captent dès le début du récit.

« Nous sommes montés à bord d'un « bateau », un ancien appareil de transport maritime. La mer était éclairée par deux sources de lumière : à l'ouest, celle, bleutée, des faisceaux de plasma et, à l'est, celle, rosée, du soleil qui débordait de l'horizon. Ces rayons scintillants scindaient la mer en deux et notre bateau avançait sur la ligne de démarcation entre ces deux mondes aux couleurs irréelles. Au fur et à mesure de notre voyage, la lumière bleue devenait plus pâle et celle du soleil plus intense. Une atmosphère angoissante se répandait à bord. On ne voyait plus d'enfants sur le pont, ils se terraient au fond de leur cabine et tiraient les rideaux de leurs hublots. L'instant tant redouté aurait lieu le lendemain ».

Cette fable sur la fuite n'est pas sans me rappeler certains textes sur l'exode, je pense à ce livre-fable baroque et fantastique de José Saramago, le radeau de pierre, qui imagine le détachement de la péninsule ibérique du continent européen. Un gigantesque navire terrestre. Bon le parallèle s'arrête là puisque Saramago imagine que la péninsule ibérique retrouve ses origines, le berceau de sa nostalgie, à savoir l'Afrique. Mais comme dans ce livre, cette dérive bouleverse l'ordre des choses et, de même, il faut apprendre à vivre avec cette errance, ne pas céder à la panique, s'adapter.

Enfin, fait passionnant et assez rare dans un livre post-apocalyptique pour le souligner et en faire ma conclusion, il y a un immense espoir. La capacité d'adaptation des hommes et celle à s'unir sont bel et bien la clé de cet espoir qui illumine ce texte. S'unir pour un nouveau départ. Malgré la folie de cette épopée. Malgré sa durée qui font des humains vivant l'exode des sacrifiés pour permettre aux générations très lointaines de s'en sortir. Leurs sentiments sont recueillis avec délicatesse. C'est intime, c'est fort et beau.

« Nous devons garder espoir. Peut-être pas parce que l'espoir est réel, mais parce que nous devons rester dignes. A l'époque de l'Ere primosolaire, il fallait posséder de l'argent, du pouvoir ou du talent pour conserver sa dignité. Aujourd'hui, il ne nous reste que l'espoir. L'espoir est le diamant le plus précieux de notre époque. Peu importe combien de temps il nous reste à vivre, il faut le chérir. C'est ce que nous dirons à notre fils demain ».

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