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Critique de Elsaumon



Les Sables de mars est un roman vivifiant, qui a su retenir mon attention, et qui, globalement, selon moi, a « bien vieilli ». Je dis qu'il a bien vieilli, car, clairement, c'est un texte qui est marqué par son époque. Si le style peut paraître un peu lourd à certains endroits, cela est peut-être dû à une traduction légèrement fautive (ce que je ne crois pas), ou bien plutôt à une écriture datée (ce que je crois). On devine également le fait qu'il s'agisse là du premier roman rédigé par l'auteur, celui-ci se faisant la main sur un genre littéraire nouveau – bien qu'il le fit avec brio – à savoir la science-fiction, auquel il impulsa le branle en tant que pionnier avec plusieurs de ses contemporains parmi lesquels nous pouvons citer I. Asimov (cycle Fondation), R. Madbury (Fahrenheit 451, Les Chroniques martiennes), R. Heinlein (Histoire du futur), ou encore G. Owell (1984).

On remarquera tout d'abord que l'auteur se met en scène en la personne du protagoniste, Martin Gibson. Non sans ironie à l'égard de lui-même, cette tournure styliste est rafraîchissante car elle autorise plusieurs cassage de quatrième mur, l'auteur mettant en relief sa propre condition de romancier, sorte d'idéaliste romantique observant au travers d'une lorgnette déformée le monde qui l'entoure, spéculant à son sujet davantage comme un poète que comme un rationaliste rigoureux. Cette condition singulière, l'auteur la fait se confronter justement au cortège de scientifiques qui enserre son texte – car il s'agit bien de mettre la science et ses découvertes, autant que ses réalisations, au coeur de l'intrigue. En ce sens, Martin Gibson dénote, et c'est avec bonheur que l'on peut suivre l'histoire se dérouler depuis son point de vue forcément atypique.

Concernant le découpage du texte, nous croyons pouvoir le diviser en deux grands volets. Tout d'abord se tisse le temps du voyage spatial, voyage qui conduira notre protagoniste en direction de Mars. Celui-ci doit s'y rendre en qualité de reporter afin de livrer à la Terre les derrières actualités au sujet de sa colonie. Ce passage assez long, quoique riche en émotions à défaut de l'être en actions, sera également l'occasion pour l'auteur de détailler la vie à bord d'un vaisseau spatial. Petite synthèse sociologique des contraintes que la vie en promiscuité fait reposer sur l'équipage d'une navette, cette première partie a le mérite de nous faire rêver et de nous emporter avec elle vers l'inconnu de façon néanmoins très concrète.

Ensuite, le deuxième grand volet du livre couvre la vie sur Mars, sous l'angle à la fois de sa biologie (quelles espèces sont endémiques de la planète, mais aussi quel est l'importance des climats sur la structuration des reliefs, et comment la faune et flore locales sont parvenues à s'y adapter ?), aussi bien que de son organisation sociétale (comment les colons se sont constitués en une société structurée et, bon gré mal gré, autonome ?)

Enfin, se dégage sur le fond de ce grand ensemble, une petite intrigue politique et diplomatique assez bien ficelé, quoique, elle aussi, légèrement datée. le style narratif, la façon de dire les choses, a clairement quelque chose à voir avec une époque et une culture spécifiques, celles de la bien-pensance anglo-saxonne toute puritaine du milieu du XXe siècle. La morale qui se trouve être mobilisée peut se révéler quelque peu agaçante, notamment lorsqu'il s'agit de lire certains dialogue où les intentions et motivations des acteurs manquent d'épaisseur et, pour tout dire, de « vitalité ». J'en veux pour preuve ce passage final où, au moment des adieux, trois personnages se complaisent en une commune admiration des uns envers les autres. Pathos exagéré que ne m'aura tiré aucune larme :

« -C'est vraiment chic de votre part de vous donner tant de mal. Nous apprécions beaucoup tout ce que vous avez fait pour nous, n'est-ce pas Irène ?
- Oh, oui ! Je ne sais pas ce que nous serions devenus sans vous…
Martin sourit avec un peu d‘envie.
-Oh, dit-il, je crois que vous vous seriez quand même débrouillés d'une façon ou d'une autre ! Mais je suis content que tout ait bien tourné pour vous et je suis certain que vous allez être très heureux. Et puis… j'espère aussi qu'on ne sera pas trop longtemps sans vous revoir tous les deux, ici… »
(Arthur C. Clarke, La Trilogie de l'espace, éd. Bragelone, 2022, p. 403)

On le sent, du moins l'ai-je ainsi vécu, les personnages apparaissent à certains égards sensiblement creux, en raison d'un souci constant de paraître bien sous tous rapports, de demeurer de parfaits citoyens au service d'un collectif pour lequel ils abandonneront complétement leurs intérêts particuliers. C'est là le prolongement du mythe rousseauiste d'une Volonté générale mis au service d'un monde nouveau à coloniser de la plus exacte des manières. Arthur C. Clarke se montre à ce titre un peu trop « propre », ne permet pas de rendre compte avec authenticité la réalité d'une condition humaine en proie à des désirs coupables et entrant bien souvent en contradiction avec les intérêts du collectif. Trop idéaliste, manquant d'épaisseur narrative, l'intrigue n'est clairement pas le point fort de ce roman. Cependant, ce dernier n'en reste pas moins une oeuvre de fiction avant d'être un traité sociologique. Nous ne lui en tiendrons donc pas rigueur et saurons allégrement passer outre ce petit détail.

Finalement, l'aspect le plus intéressant du roman réside d'après nous dans l'évocation du conflit opposant les vues politiques de la Terre vis-à-vis de celles de sa colonie martienne. Sans rien dire à ce sujet car il constitue le pivot central à l'intrigue du texte, nous pouvons simplement souligner la pertinence des analyses que l'auteur déploie ici. Celles-ci mobilisent à profit les souvenirs brûlants de la guerre de Sept ans qui fit s'affronter Français et Britanniques au coeur du XVIIIe siècle, avant d'aboutir sur la guerre d'Indépendance étasunienne, laquelle entraîna précisément ces mêmes rapports conflictuels entre la couronne britannique, Etat-mère, et son rejeton capricieux, agité, empli de désirs d'émancipation à l'égard du giron maternel. Ces paroles de John Norden, commandant en chef du vaisseau l'Arès, vaisseau dans lequel Martin Gibson a quitté la Terre pour Mars, fait bien sentir la relativité des points de vue qui nous anime tous :

« J'ai la faculté de considérer les deux aspects de la question. Quand je suis ici, je comprends votre raisonnement et je sympathise même avec vous ; mais dans trois mois, je me trouverai de l'autre côté et je penserai probablement que vous êtes une bande de rouspéteurs et d'ingrats, sur Mars ! » (ibid. p. 400).

L'ouvrage que nous avons sous les yeux pose les bases du récit science-fictionnel et de l'exploration spatiale, entraînant tout son cortège d'espoirs et de théories romantiques, chimériques, utopiques. Pourtant, tout est mesuré et calculé à l'aune d'une démarche scientifique rigoureuse. On y croit et force est de constater que l'auteur développe ici quantité d'hypothèses qui, pour certaines, se sont révélées être exactes, seulement possibles, voire accomplies aujourd'hui (satellites géostationnaires, bases lunaires ou martiennes). A ce titre, nous voyons en Arthur C. Clarke le Jules Verne britannique du XXe siècle, une continuité du génie de l'anticipation en littérature.

Cependant, nous ne manquerons pas d'être critique à l'égard de plusieurs positions éthiques engagées par des projets orchestrés dans ce texte, notamment la mise en oeuvre du « projet Aurore », lequel conduit à se rendre « comme maître et possesseur de la nature » (R. Descartes, Discours de la méthod, « cinquième partie »), d'une façon parfaitement inconsidéré selon nous. Ou encore l'idée de domestiquer de façon béhavioriste les créatures martiennes que rencontrent les personnages. Ces démarches relèvent d‘une pensée ancrée dans une époque, à savoir un XXe siècle, époque où la technologie scientifique en matière d'avancée spatiale – ne parle-t-on pas de « conquête » spatiale, comme s'il s'agissait d'une guerre menée sur l'espace – faisait encore rêver au point de tout mettre en oeuvre pour quitter la Terre. Aujourd'hui, et ce depuis les années 1970 et l'essor des recherches en écologies, de la pensée féministe et antispéciste, nous en sommes revenus. La question du vivant à pris de l'ampleur au sein des consciences collectives, même si elle demeure encore bien évidemment trop en retrait du débat politico-politicien actuel, notamment parmi le cercle des intellectuels. Ce genre de projet démiurgique (car il s'agit bien là de créer ex nihilo un monde nouveau à l'image de l'homme) ne pourrait – devrait – plus être seulement envisagé.

En définitive, Les Sables de mars est un roman rafraîchissant qui paraîtra peut-être à quelques lecteurs un peu fade, particulièrement à ceux qui sont versés de longue date dans la toile de ce genre littéraire maintenant bien étoffé, et qui ont eu accès à la littérature la plus contemporaines. Il est vrai que le style littéraire et la dimension scientifique que l'on retrouve aujourd'hui dans ce genre se sont développés d'après d'autres dynamiques. Mais pour le néophyte ou pour l'amateur de science-fiction comme il ne s'en fait plus, alors ce livre apportera beaucoup de plaisir, n'en doutez pas une seule seconde ! Un peu à la façon dont la première trilogie des films Star Wars peut se révéler moins décevante que la dernière, filmée sous la férule de Disney… D'ailleurs, la réalisation finale du « projet Aurore » et la création artificielle d'un second soleil à partir du satellite martien Déimos n'est pas sans évoquer la planète Tatooine et ses deux soleils emblématiques de la science-fiction au cinéma.

Lien : http://laphilosophie.over-bl..
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