Ici, parler tue moins que là-bas. Abritée derrière mon paravent d'étagère, j'achète un magazine, entre dans un musée, ou commande un soda sans serrer les dents.
Au village, ils croient que nous travaillons tristement, que l’odeur nous punit ou que les sabots nous cabossent. Ils se trompent : les bêtes nous sauvent.
Aujourd'hui, il me reste peu de mots et peu de souvenirs. J'écris notre histoire pour oublier que nous n'existons plus.
Il me semble alors que le savoir peut guérir. Que lire, écrire, traduire, c'est reformer le sein, étaler l'origine, aérer le fumier d'où sortiront les fleurs derrière chaque tort redressé.
Chaque sourire me soutient que la vie est bonne, qu'il ne faut pas toujours chercher à comprendre mais relever les cœurs tombés.
Les mots marchent sur les mots, je couve un silence dont je ne peux rien faire, à part apprendre. Pour fatiguer la ronce. Au plus près du monde usé que je porte en signe de galet.
"Virginia me confie Mes patrons sont gentils. A l'aube, j'arrive la première à la teinturerie, je vérifier les paquets que Mike dépose devant la porte. Je ne sais pas si je ferai l'affaire mais ce travail pour payer mes études me plaît. Sortir du polochon les chemises encore tièdes. Plonger mon nez dans les cols. Imaginer que des gens existent autour de moi, même tôt, même pas longtemps."
Nous nous écroulons. Nous crions. Nous léchons nos paumes pour sentir quelqu'un.
Je n'ai pas découvert qui j'étais après ton doux visage.
Mon ventre est plein d'amis qui tombent.