Alors Süleyman désigna, près d'un lopin de sable blanc planté de vigne
et de poiriers, quelques rangées de peupliers.
- T'arrive-t-il de songer à l'arbre qu'on a mis en terre au lendemain de
ta naissance ? Il est si mince, si fragile... Vois donc celui de ton grand-père,
au tronc noueux et torsadé. Regarde ! Il semble déjà creux, comme si la mort
le rongeait. Mais son feuillage bruisse encore et ses racines sont solides !
Le peuplier de ta grand-mère résiste encore à son absence.
Ceux de tes parents se balancent comme à la danse
des moissons. Ceux de tes sœurs ont des langueurs
et des grâces de jeunes filles... Voici le tien.
Voici le mien. On dirait qu'ils sont là,
dressés, l'un près de l'autre pour n'être
jamais séparés. Pars, si tu veux...
Je t'attendrai toute la nuit
à l'intérieur du pigeonnier.
De la fleur, elle avait le velours, le parfum, la fragilité.
Certains disaient aussi l'inutilité, car Sangür ne savait rien faire.
Elle écoutait des musiques que personne n'entendaient,
devinait des mystères que personne ne soupçonnait,
poursuivait des rêves qu'elle n'atteindrait jamais.
[.......]
On riait de sa maladresse... Mais elle avait appris la patience,
l'humilité et le silence.