Citations sur Un autre regard, tome 2 (18)
Pour savoir si vous occupez un boulot à la con, c'est très simple : imaginez qu'il disparaisse, et demandez-vous l'impact que ça aurait sur la société.
Je me suis posé la question : j'ai passé mes 12 années de carrière à développer des logiciels permettant à des entreprises d'être plus compétitives que leur voisine. Et puis, après, comme j'étais prestataire, j'allais développer le même truc pour la voisine.
J'aurais pu passer ces 12 années de travail à jouer à la crapette, sans que l'humanité bouge d'un poil de cul.
[…] L'économiste et sociologue Bernard Friot estime que 30% de nos emplois sont des boulots à la con.
Pour faire simple, prenons l'exemple de Jean-René, propriétaire d'usine, qui voudrait fabriquer quelque chose.
Jean-René va consulter ses actionnaires.
- Alors je pensais qu'on pourrait fabriquer des prothèses de bras !
- Absolument pas ! La demande est trop faible ! Et un handicapé, c'est pauvre. On peut même pas les vendre cher. On va faire des troisièmes bras. Pour les pas handicapés !
- Mais... Personne n'a besoin d'un 3e bras !
- Bien sûr que si, on va faire de la pub. Et on mettra un 3e bras au héros du prochain film de Luc Brison.
Et voilà, il est plus rentable pour Jean-René de fabriquer un produit à la con qu'un truc utile.
Le profit et l'humain ne font pas bon ménage.
Ma copine M. me racontait atteindre le summum du désespoir quand elle croyait atteindre l'heure de la relève, en entendant le bruit des clés... mais que son mec, rentrant avec déjà une heure de retard, annonçait fièrement à peine ses chaussures retirées : j'vais chier ! À tout de suite ! (Téléphone à la main = à dans 2 heures)
En fait, le truc, c’est que notre société impose encore aux hommes et aux femmes des échelles de valeurs bien distinctes.
Pour les hommes : 1 travail. 2 famille.
Pour les femmes : 1 famille. 2 travail.
C'est flagrant dans le monde politique : les hommes, eux, peuvent se mettre crier, jurer, gesticuler sans risquer d'être critiqués sur la laideur de leurs expressions faciales. Ça les aide même à convaincre et à se faire élire.
Pour les femmes ça ne fait pas partie des options possibles.
[...]
Aucune candidate ne prendrait le risque de vociferer "c'est notreuh PROJEEEEET !!!!"
Car si la colère assoit le charisme des hommes, à l'inverse, elle décrédibilise les femmes.
L'automatisation des tâches nous a permis de nous débarrasser de plein de boulots pénibles, tout en produisant plus.
On fabrique tellement de bouffe qu'on en jette la moitié...
Et il existe plus de logements vides que de personnes sans abri.
Si des gens meurent de faim et dorment dehors, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas assez de logements, mais parce que c'est mal réparti.
Quand le partenaire attend de sa compagne qu'elle lui demande de faire les choses, c'est qu'il la voit comme la responsable en titre du travail domestique.
C'est donc à elle de savoir ce qu'il faut faire, et quand il faut le faire.
[...]
Alors quand on demande aux femmes de faire tout ce travail d'organisation, et en même temps d'en exécuter une grande partie, ça représente au final 75% du boulot.
Nommons les choses clairement : faire croire à une personne blessée qu’elle est la fautive, c’est de la manipulation émotionnelle.
Et le subir régulièrement tend à nous faire perdre nos repères.
C’est tellement humiliant de devoir s’excuser d’avoir été blessée, que progressivement... on finit pas ne plus réagir du tout aux provocations.
Aujourd’hui, comme beaucoup de femmes, je suis devenue incapable de discerner les situations dans lesquelles j’ai des raisons de me mettre en colère.
Ce contrôle social de nos émotions commence dès l’enfance. Chez les petits garçons, l’agressivité est considérée très tôt comme normale. Elle fait partie des qualités vues comme nécessaires pour « devenir un homme ».
Plus tard, ce stéréotype leur coûtera très cher. Déjà, car ceux qui n’y correspondent pas, considérés comme « pas des vrais hommes », subissent de nombreuses humiliations.
Et aussi parce que les autres, pour ne pas subir le même sort, tentent de prouver leur virilité par des comportements violents et à risque.
Les petites filles n’ont pas ces problèmes car chez elles, on contrôle très tôt les manifestations d’agressivité.
Alors en offrant du temps à leur entreprise, les hommes ont plus le sentiment d’accomplir leur devoir... qu’en partant tôt pour retrouver leur famille.
Voilà comment on trouve des pères d’enfants âgés de plusieurs années qui ne savent toujours pas où leur acheter des vêtements, quoi leur préparer à manger, la date du prochain vaccin, ou même le numéro de la nounou.
Alors c’est sûr que rien ne nous oblige à faire toutes ces choses. Le problème, c’est que quand on arrête, ça pénalise toute la famille.
Du coup la plupart d’entre nous nous résignons à assumer seules la charge mentale, en grignotant sur notre temps de travail et notre temps de loisir pour pouvoir tout gérer.