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Critique de Antyryia



- Veuillez enlever votre pantalon, que je puisse vous examiner, me demande mon médecin généraliste.
De tous les endroits du corps où la plaque rouge aurait pu apparaître, le psoriasis s'est évidemment installé sur ma fesse droite.
Aucune symétrie, aucune autre zone touchée par les démangeaisons, tous les symptômes de stress convergeaient vers cette zone charnue et délicate que je devais gratter aussi vivement que régulièrement pour en atténuer les irritations.
- Je vais vous prescrire du valérate de diflucortolone, une crème à appliquer une ou deux fois par jour pendant une semaine, me dit le docteur après un examen attentif ( pas trop quand même ) de mon derrière.
Au bout de deux jours, les symptômes avaient disparu après les premières applications cutanées.
Mon cul nu avait retrouvé ses lettres de noblesse, en attendant la prochaine crise d'urticaire.

C'est heureusement avec beaucoup plus de subtilité qu'Ophélie Cohen va nous parler des rougeurs présentes sur le derrière d'Aaron, jeune garçon d'une dizaine d'années.
Lui aussi s'est vu prescrire de la crème pour calmer les irritations.
Y a-t-il un âge après lequel les parents ne doivent plus intervenir pour éviter tout quiproquo sur la nature potentiellement litigieuse de leurs gestes ?
Ça n'est pas la question à mon sens. Celle-ci se situe davantage dans la façon d'appliquer la pommade. Si soigner devient un prétexte intéressé pour caresser un enfant, des limites ont été franchies.

Suspicion(s) n'est pas un roman très gai, mais s'il évoque la pédophilie c'est sous un angle encore inédit.
C'est l'hypothèse de celle-ci qui est émise uniquement, et la recherche de la vérité au-delà des soupçons.
Rien à voir avec un roman qui cherche à faire dans le sensationnel et la surenchère en exploitant l'indicible, c'est même tout le contraire.
En parfaite funambule, Ophélie Cohen offre encore un roman extrêmement poignant, sans jamais tomber dans le malaise gratuit.
Et pourtant, l'impression d'un courant d'air glacial persiste à me frôler la nuque tant cette histoire, qui aurait pu être réelle, me bouscule et me révolte.

Quatre narrateurs vont tour à tour prendre la parole.
Les trois premiers sont issus d'une famille décomposée. Hugo et Rachel Desprez viennent de se séparer pour célébrer le passage à l'an 2000. Leur fils Aaron ne suffira pas à sauvegarder un minimum d'entente entre eux et se confiera à son journal intime au sujet de ses ressentis. Il est la victime collatérale de cette rupture, obligé de prendre parti dans un affrontement auquel il n'aurait jamais du être mêlé.
Les parents sont quant à eux teintés de gris, et si d'emblée l'on a tendance à condamner ce père qui trompe allégrement sa femme pour multiplier les expériences sexuelles avant de s'installer avec sa secrétaire Marie, que notre empathie nous guide vers une mère et une ex-épouse en souffrance, la situation perdra rapidement de sa limpidité et s'avérera bien trop complexe pour départager aussi facilement le gentil du méchant.
Quand l'amour laisse place à la haine, les pires coups devraient être interdits.
"La haine me ronge et je ne rêve plus que d'une chose, me venger."
Et si souhaiter faire mal à son tour fait partie de la nature humaine, il ne s'agit pas non plus d'un droit qu'on peut s'octroyer au mépris de toute conséquence.
"La vengeance n'est pas une solution, mais elle a le pouvoir d'apaiser, pour un temps, un égo meurtri."

Si le roman est très éloigné d'Héloïse dans son sujet comme dans sa narration, il n'est pas non plus dépourvu de points communs. Loin d'être manichéens, les personnages sont souvent clivants et ne laissent donc pas indifférents. Leurs raisonnements, aussi impitoyables ou ignobles puissent-ils être parfois, sont expliqués minutieusement et font de la psychologie à nouveau un grand point fort de ce second roman.
Et puis il y a cette plume aérienne aux mots minutieusement choisis qui se dévore. Souvent délicate, parfois plus vive pour mieux laisser transparaître la colère qui suinte des pores des personnages.
"Qu'est-ce que ma fêlée de future ex-femme a pu manigancer ?"
Sans oublier l'utilisation des fameux mots-valises.
"Facimple. Je viens de l'inventer. Ce n'est ni facile ni simple, tu vois ?"
"Adaptage, mot inventé rien que pour nous. Un bon policier sait s'adapter à toutes les situations."

La quatrième personne à relater cette histoire pour nous permettre d'avoir une vue d'ensemble appartient justement aux forces de l'ordre. Elle se prénomme Nathalie et est affectée à la brigade des mineurs.
"Être le premier adulte à donner du crédit à la parole d'un enfant abusé parce qu'on l'a écouté n'a pas de prix."
Son histoire se passera deux ans après celle qui nous est relatée par les membres de la famille Desprez. Bien sûr les deux trames s'avéreront rapidement intrinsèquement liées notamment par la découverte d'un corps, peut-être assassiné. Une suspicion de plus.
Mais si le roman revêt des allures policières c'est surtout pour dénoncer le manque de moyens policiers et judiciaires pour pouvoir être sur tous les fronts.
En particulier celui des violences sur mineurs, une affaire devenant toujours prioritaire au détriment d'une autre sans que les investigations puissent toujours être menées à leur conclusion définitive. Là encore, Suspicion(s) évoque davantage les difficultés, tant morales que matérielles, d'exercer ses fonctions, plutôt que la résolution d'une enquête criminelle à grand renfort de rebondissements. Il y a énormément de sincérité, de véracité dans ces propos amers.

Qu'il ne s'agisse pas d'un roman à suspense est à double-tranchant. Ce que le livre gagne en réalisme, il le perd en rythme et je n'aurais pas été contre davantage de petits imprévus.
Les doutes dont il est question dans le titre concernent davantage les protagonistes que ceux du lecteur, réduit au rôle de spectateur, de témoin condamné au mutisme.
Les derniers chapitres sont en tout cas vraiment exceptionnels et offrent une fin inattendue, amorale comme je les aime, sans pour autant s'écarter d'un triste réalisme, point de vue privilégié de bout en bout par Ophélie Cohen.

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