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Critique de berni_29


La mer, la mer, toujours recommencée.
Au début, j'ai craint le pire, m'être de nouveau embarqué dans un mauvais remake de la Horde du Contrevent. Je ne sais pas pourquoi, j'ai senti venir comme une odeur de fumisterie qui remontait de la cambuse jusqu'au pont. Mais non... Ici, point d'épopée remontant le vent à l'envers, ni d'équipage de contre-amiraux prépubères...
Étraves démarre sur une belle idée : un conte écologique, un récit post-apocalyptique qui se déroulerait en pleine mer, à l'endroit qui fut jadis la terre ferme, désormais quasiment recouvert par les océans. Pour vous donner une idée du décor maritime, imaginez quelques sommets de la chaîne des Pyrénées devenus un archipel. Non, je sais, vous n'imaginez pas et pourtant...
Mais qui est le vilain qui a tiré la chasse d'eau ? On ne sait rien des causes de ce qui semble être une apocalypse, une fin du monde ou presque, « une fin de cadran quasi crépusculaire » pour dire les choses ainsi, celle qui nous attend ou attend les prochaines générations, ce n'est pas important, l'auteur Sylvain Coher ne cherche pas à nous entraîner à cet endroit.
Au commencement d'Étraves il y a le déluge, la montée des eaux. La population de la terre s'est répartie entre les pousse-cailloux d'un côté, partis habiter sur les quelques îlots rares qui demeurent encore à la surface, et les fruits-de-mer qui eux vivent sur tout ce qui flotte, bateau, barque, barcasse, reste de bateau, demi-épave, plateformes à la dérive...
« Voici la mer, enfin, vive et vaste de tous bords. »
Étraves, c'est une terrible odyssée sans fin sur des mers qui n'en finissent pas.
Étraves, c'est l'histoire d'un marin assoiffé d'escale à la recherche d'un bout de terre. Nous sommes sur un cargo baptisé Ghost. Déjà le nom... le récit est raconté par Blaquet, le cuistot, quittant parfois son fourneau et ses gamelles graisseuses pour pointer le bout de son nez sur le pont, là où tout se passe. Ou plutôt là où rien ne se passe...
Petit Roux, moussaillon de quinze ans retranché à la proue du cargo, berce dans ses bras Câline qui ne le câlinera plus, sa mère vient de mourir et il lui a fait une promesse, il veut sauver sa dépouille, lui offrir une sépulture au sec, digne de son amour filial, l'enterrer sur un coin de terre qu'elle fertilisera, là où la vie fragile pourrait un jour revenir, sachant que les pousse-cailloux défendent redoutablement l'accès à leurs îlots rocheux, repoussant les tentatives d'escales des fruits-de-mer...
Il n'est pas question pour Petit Roux de céder à la vindicte du reste de l'équipage, de livrer sa mère aux crocs des poissons et autres marsouins voraces qui pullulent la mer. Petit Roux veut s'enfuir pour trouver l'introuvable, quêtant l'innommable, l'escale indicible : un bord de mer échappé de la montée des eaux.
Commence alors ce voyage, qui au tout début du récit a pris à mes yeux l'allure d'un beau cheminement initiatique...
On ne sait rien de cette humanité qui flotte ici où là sur d'autres embarcations à la dérive, ou bien accrochée aux flancs de quelque rocher encore émergé. On ne sait rien de la relation entre ceux qui ont encore une terre sous leurs pieds et ceux qui n'en n'ont plus, avec cette idée d'urgence, celle que tout ce qui flotte est amené progressivement à pourrir, à disparaître , ceux qui vivent sur ces embarcations sont loin d'être des marins aguerris aux choses maritimes, ce sont avant tout des survivants d'un monde en perdition.
À l'heure où le numérique s'est évaporé, il reste encore quelques vieux livres qu'il faut sauver de l'immersion, parfois repêcher, ils deviennent la seule mémoire de l'humanité. J'ai aimé cette belle idée.
Pour raconter cette histoire, Sylvain Coher a convoqué une langue inventée, inventive, à la fois sophistiquée sans l'être, pétrie de navigation et de langage populaire, désuète, argotique, se nourrissant de la poésie des embruns et des lointains horizons.
Parfois je ne comprenais pas un mot, ce n'était pas important, il y avait une sonorité un peu comme lorsqu'il vous arrive de dormir près d'un port et que vous entendez venir à vous le bruit du vent cognant contre l'accastillage des embarcations...
Mais voilà ! Je me senti bien seul dans cette lecture, un peu en perdition pour tout vous avouer, même si un équipage de fidèles moussaillons était bien présent à mes côtés dans cette lecture commune.
C'est une atmosphère glauque, sombre, humide, nauséeuse.
De cette lecture, j'en ai encore les poulies qui grincent, les agrès branlants. Ai-je aimé ce livre ?
La quête de Petit Roux et de sa mère Câline qui se décompose dans ces bras est une belle quête, mais demeure une quête sans véritable histoire où s'accrocher comme un naufragé vissé à sa barque ou à son caillou. C'est à se demander si la vraie histoire n'est pas cette langue sortie de nulle part sauf de l'imaginaire de l'écrivain, mais une fois le procédé littéraire apprécié, l'exercice de style salué, que reste-t-il ?
Ici j'ai reçu des seaux et des serpillières, je me suis accroché à l'esquif, j'ai tenté de tenir le cap. Ici j'ai failli pourrir de la tige dans ce vase non pas trop rempli d'océans mais de mots.
Étraves, c'est une plume qui tangue, une écriture au service d'une ambiance et non d'une histoire. À l'inverse d'un auteur comme Céline par exemple... Pour cette raison, cette lecture ne fut pas la mer à boire.
Et si Sylvain Coher m'avait mené en bateau ?
Un grand merci à Doriane (@Yaena), Nico (@Nicola), Pat (@Patlancien) et Sandrine (@HundredDreams), pour cette lecture commune inspirante qui a parfois davantage ressemblé au radeau de la Méduse. Merci à Chrystèle (@HordeDuContrevent) pour la découverte de ce récit et de son auteur. Allez voir son merveilleux billet dithyrambique !
Non content d'avoir été rincé par les multiples tangages de cette lecture, je file découvrir Nord-Nord-Ouest du même auteur.
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