Citations sur Une enquête des soeurs Brontë, tome 2 : Les os du diable (21)
Le cri déchira l’air glacé, tranchant comme une lame. Liston Bradshaw se redressa d’un coup dans son lit, son souffle rapide s’embrumant dans l’atmosphère gelée. Dehors, une tempête de neige faisait rage, et le vent se déchaînait autour de Top Withens Hall, qu’il emprisonnait dans un tourbillon de hurlements furieux. Lorsque l’effroyable cri retentit pour la deuxième fois, Liston sortit du lit à tâtons, enfila sa culotte et enfonça ses pieds nus dans ses bottes. Dévalant l’escalier jusqu’au vestibule, il fut accueilli par les vociférations de son père.
- Va-t-en, démon, va-t-en !
Clifton Bradshaw hurlait dans le vide. En arrivant, Liston découvrit son père en train de tournoyer et jeter les bras en tous sens, avec à la main une vieille épée rouillée prise au-dessus de la cheminée pour transpercer le néant. Ses yeux étaient écarquillés par l’effroi et rougis par la boisson. Les chiens aboyaient comme des fous à ses côtés, tantôt se recroquevillant et tantôt grognant avec lui devant la menace invisible.
- Montre-toi et laisse-moi te combattre !
- Qu’y a-t-il, papa ? demanda Liston alors que le dernier cri s’éloignait et que son père fouillait tous les coins sombres en quête de l’intrus fantôme. Pourquoi sommes-nous ainsi maudits ?
- J’ai une peur mortelle qu’elle soit revenue réclamer mon âme, répondit Clifton à son fils, la voix tremblante.
- Qui ? Y a-t-il quelqu’un dehors ?
Malgré son air contrarié, Tabby se racla la gorge avant de s’exécuter tout de même.
« Sans se soucier de leur douleur,
Elle les poignarda en plein cœur.
Puis elle essuya son canif dans la boue des marais,
Et plus elle l’essuyait, et plus le sang coulait. »
- Ciel, souffla Charlotte. Quelles paroles horribles !
- Les chansons folkloriques étaient les journaux de leur temps, ne l’oubliez pas, leur rappela Tabby. C’est ainsi que nous apprenions les nouvelles concernant le reste du monde, ce monde qui n’était pas le nôtre. Tout ne peut pas être que flonflons et amourettes.
« Ne sois ni emprunteur, ni prêteur », dit toujours notre cher Père, le gronda Charlotte.
Ce monde n’est plus le même qu’à l’époque où les sorcières de Pendle furent pendues, quand la peur aveugle et la superstition régnaient en maîtresses.
- La conclusion la plus évidente, après un premier examen, est qu’il s’agit bien d’un enfant, âgé de huit à dix ans. Cependant, une analyse plus approfondie des preuves nous révèle une autre histoire. Le squelette constitue la mémoire du corps, et celui-ci nous indique que cet individu a eu une vie marquée par une santé défectueuse. Voyez ici comment les os sont tordus et courbes : c’est un signe certain de rachitisme causé par une mauvaise alimentation et un manque d’exposition au soleil. On l’observe très souvent chez les enfants qui travaillent dans les usines. Ils partent au travail avant le lever du soleil et en reviennent après son coucher. De plus, ici, le tibia s’est brisé, plus que probablement après la mort et sans doute parce que les os eux-mêmes sont fragiles et poreux : un signe de scorbut, qui provient d’un régime alimentaire très limité, carencé en légumes et en fruits frais. Cette pauvre âme subsistait certainement avec du pain à base de craie ou d’alun. En outre, l’on voit clairement sur ces illustrations des côtes de l’enfant qu’il souffrait du « syndrome de l’os tissé ». Je n’en ai que rarement été témoin, mais c’est l’indicateur avéré d’une inflammation des poumons. Selon toute vraisemblance, cet enfant avait la tuberculose.
P’pa est un … un homme dur, mais si étrange et retiré que doit apparaître Top Withens à la plupart des gens, c’est mon toit. Sa terre est dans mon sang et mes poumons. Si je ne peux y retourner, alors je mourrai, comme un poisson arraché à la rivière.
En vérité, à présent qu’elle était en sécurité chez eux, alors que les rafales de vent se resserraient autour de leur petite maison, elle avait peine à croire que tout ce qui s’était passé ne soit pas le fruit de quelque création fantaisiste de son imagination, un conte gothique gondalien.
- Liston Bradshaw n’est pas un animal, les admonesta Branwell en se frottant le bout du nez pour y ramener le sang. Il est peut-être moins éduqué que vous ou moi, et il a eu moins d’occasions de se confronter à la beauté du monde, mais malgré la brutalité de son père, Liston a un bon cœur et un esprit droit. Vous l’apprécierez.
Le paradis pouvait bien être sublime, comment serait-il capable de rivaliser avec la lande qu’elle vénérait tant ? Alors elle décida de ne pas mourir ou, le cas échéant, de ne jamais quitter cette terre. Elle y revivrait, tout comme les perce-neige et comme la bruyère qui refleurissaient chaque année, qui étaient toujours là, dans le vent, les ruisseaux, la courbe de la linaigrette. Ce serait là son paradis.
Je pense parfois que la mort lui a volé son cœur et qu’il l’a enterré à ses côtés.