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Critique de Thrinecis


Après avoir terminé ma lecture de Mes Vérités (recueil des entretiens radiophoniques que Colette accorda au journaliste André Parinaud en 1950), j'ai voulu relire Mes apprentissages, récit autobiographique de ses 12 années de mariage avec son premier mari, Willy, de 1893 à 1905.

Le titre de son récit pourrait laisser penser que l'écrivaine va s'expliquer sur la genèse de Colette, femme de lettres, or son récit est avant tout orienté sur Willy, le "cas Willy", sous la forme d'un véritable procès à charge.
Les infidélités de Willy et l'exploitation commerciale qu'il a fait du talent de Colette et de sa personne-même sont plus que connus, mais Colette s'épanche avec force détails et éléments de preuve sur ce qu'il lui a fait subir et sur le fonctionnement de ses multiples ateliers d'écriture dans lesquels travaillaient ses "nègres". Ces souvenirs ne sont d'ailleurs pas toujours fidèles à la réalité et peuvent être quelque peu "arrangés" par Colette en fonction de ce qu'elle a préféré taire ou de l'image qu'elle a souhaité laisser d'elle-même ou de Willy à ses lecteurs.

Bien qu'elle s'en défende et qu'elle publie ce texte 30 ans après avoir quitté Willy, on ressent toute l'amertume d'une blessure mal cicatrisée : il est vrai qu'aux infidélités fréquentes de Willy, à l'enfermement quotidien (à clé !) dans une petite pièce où elle devait écrire pendant 4 heures, à la spoliation de ses premiers livres uniquement signés par Willy, se sont ajoutées de nombreuses humiliations et vexations qui n'ont fait qu'aviver les souffrances de Colette. En véritable marketeur avant l'heure, Willy eut le génie d'exploiter de manière extrêmement inventive et moderne l'immense succès parisien des premiers Claudine : cartes postales avec les photos de Colette et Polaire en Claudine, apparition sur la scène d'un sosie de Willy incarnant le bedonnant Maugis (personnage de Claudine à Paris), et surtout exhibition de Colette et d'une "doublure", toutes deux déguisées en Claudine par Willy partout où il allait. La première doublure fût évidemment Polaire, première interprète de Claudine sur scène et aux dires de Colette l'unique, la meilleure, inoubliable, mais elle sera suivie de nombreuses "twins" comme les appelait Willy.

Dans son récit, Colette reste tout aussi pudique sur sa souffrance qu'elle l'était avec sa mère, Sido, à qui elle cachait la vérité dans ses lettres, l'habillant de gais mensonges sur son mariage et sa vie quotidienne. Sa libération, son "évasion" ne sont pas très détaillées : Colette évoque la vision d'une voyante qui l'aurait encouragée à quitter le domicile conjugal, une invitation de Willy à se lancer dans le théâtre, qu'elle aurait comprise comme une mise à la porte. Mais si elle a sans doute longtemps ruminé cela, la décision ne fut pas facile à prendre et probablement pas de son fait selon la passionnante notice analytique de Jacques Dupont que l'on peut lire dans la Pléiade : il est vrai qu'à l'époque Colette n'avait absolument aucune indépendance financière, les revenus de ses romans étant intégralement touchés par Willy.

Ce récit est aussi un témoignage unique et passionnant sur le milieu artistique de la Belle Epoque et de cette vie mondaine où se croisait une faune interlope, depuis les cocottes comme la belle Otéro jusqu'à la célèbre danseuse Mata-Hari, en passant par Boldini qui fit un magnifique portrait de Willy avec sa canne et son chapeau à bords plats et des écrivains parnassiens ou décadents comme Catulle Mendès ou les dandys à réputation sulfureuse Pierre Louÿs et Jean Lorrain.

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