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Critique de Alzie


Alzie
15 février 2018
La lecture de ce hors-série renvoie à une exposition passionnante convoquant le livre et la peinture visible encore quelques jours au musée d'Orsay. Si vous ne pourriez la voir qu'en vous plongeant dans ces pages que vous en goûteriez cependant les envoûtements visuels de son exceptionnel parcours. L'hommage rendu à Degas et à son oeuvre par le musée cent ans après sa mort permet d'apprécier ses esquisses, dessins, études, sculptures, peintures et pastels sous le « commentaire » très inspiré de Paul Valéry. C'est en effet son texte « Degas Danse Dessin » qui illustre fort à propos les oeuvres exposées du peintre et les rend d'autant plus vivantes. Des documents d'archives nombreux et étonnants concernant les deux artistes – photos, cahiers de Valéry ou objets plus insolites tel ce praxinoscope prêté par la Cinémathèque ou encore, achevant le parcours, ce film en noir et blanc de Sacha Guitry daté de 1915 qui montre le vieux Degas marchant dans les rues de Paris –, contribuent à rendre ce face-à-face posthume entre un vieux peintre de redoutable caractère et un tout jeune écrivain qui s'étaient connus en 1896 particulièrement réussi et jouissif.

Avant d'être une exposition, « Degas Danse Dessin » est un livre. Une aventure éditoriale voulue par Ambroise Vollard et documentée dans l'expo ainsi que dans ce Connaissance des arts qui lui est consacrée. D.D.D fut une édition de luxe (1937) tirée à quelques 300 exemplaires dont le texte signé Paul Valéry, qualifié par lui de « monologue », était accompagné de vingt-sept eaux fortes réalisées à partir d'oeuvres du peintre. La genèse du texte, paru longtemps après la mort du peintre, apprend qu'il fut connu par fragments dans diverses publications bien avant 1937 (Valéry s'étant lassé des lenteurs de Vollard s'était tourné ensuite vers Gallimard). On le lit aujourd'hui très facilement. L'une des deux commissaires de l'exposition souligne avec justesse dans la présentation du hors-série combien le livre « ressemble à Degas » par sa forme éclatée et dynamique. Forme « polyphonique », selon son auteur, dont l'exposition retient aussi quelque chose, par la pluridisciplinarité de son intention et les diverses pistes qu'elle ouvre dans ce qui apparaît comme une magnifique conversation entre les arts. Degas/Valéry : le trait de l'un, les lignes de l'autre racontent aussi l'intrusion de la modernité dans la peinture et l'écriture.

Degas (1834-1917), dont on suit les grandes étapes de la création dans ce numéro, né avec les débuts de la photographie et sensible aux avancées de son temps n'a pas craint cette « nouvelle technologie » qu'il aimait pratiquer, reformulant au passage quelques acquis de sa peinture : compositions aux cadrages novateurs, points de vues en surplomb, visions obliques, etc. Rien n'échappait à son oeil exercé captivé par le mouvement. Degas, sur ce sujet toujours selon Valéry, avait eu vent des travaux de Muybridge et de Marey (inventeur de la chronophotographie) qui annonçaient les prémisses du cinéma dans les années 1870. Paul Valéry fit remarquer son talent à surprendre une « mimique » quelque soit le modèle et le support envisagé. Formé par Louis Lamothe, dans le plus pur classicisme, aux leçons de J. D. Ingres, Degas avait conforté sa maîtrise du dessin au cours d'un long voyage en Italie (1856-1859) au contact de ses grands et nombreux prédécesseurs. Copiste infatigable, le dessin était pour lui une discipline exemplaire base de toute sa création.

Parce ce qu'il en possédait la totale maîtrise il en concevait aussi les limites, celles-là mêmes qui le poussèrent à faire évoluer son art dans le sens d'une quête toujours plus libre et audacieuse vers le mouvement et la recherche de cette troisième dimension que le dessin semblait lui refuser. D'esquisses en études et de peintures en sculptures – La petite danseuse de quatorze ans (1880/1881) en serait peut-être la quintessence – jusqu'aux grands pastels bleus de la dernière période et, des coulisses de l'opéra aux champs de courses de Longchamp, c'est cette progression pleine de grâce et d'inspiration ressentie par Valéry que révèle cette lecture à travers une mise en page subtile et lumineuse.

Degas avec des moyens plastiques et Valéry, dont on (re)découvre la profondeur de l'écriture par ses réflexions sur l'art, illustrent à eux deux une modernité qui ne laissa ni l'un ni l'autre indifférent au moment où les arts visuels s'élargissaient à la photographie et au cinéma. Danse, dessin d'un côté, écriture de l'autre, fusionnent dans le vaste et fécond mouvement d'échanges qui font vivre les arts depuis la renaissance. Quand Valéry rencontra Degas il avait décidé d'abandonner ses ambitions littéraires et s'adonnait journellement aux formes plus libres d'écriture qui commençaient à remplir ses innombrables cahiers. S'il avait souhaité écrire sur Degas le refus du peintre l'avait fait provisoirement renoncer… Son regard rétrospectif, sa nature de poète semblent pourtant avoir capté et conservé l'essentiel de celui à qui il rendait hommage en 1937 pour son « éthique du dessin » - la danse et le mouvement comme « religion » – et qui l'avait peut-être impressionné dans sa jeunesse. Les deux artistes nous parlent encore aujourd'hui. Beau tout simplement.


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