Il n’est pas besoin de partir du réel pour aller vers le roman, le roman crée sa propre réalité.
Elle paradait dans son jardin, au milieu des dames qui mettaient tous leurs efforts à tenir leurs tasses tout en se saisissant d’un sablé de l’orphelinat et en gardant sur le genou la petite serviette à thé empesée.
Elle (Mme Tong) recyclait en chaussures les pneus usagés. La semelle était découpée dans la sculpture, la chambre à air plus fine servait à confectionner les bandes de dessus.
L’Administrateur n’avait droit à des congés que tous les quatre ans. Mme Dubois revint à Yvetot 1460 comprimés de quinine plus tard, le teint gris, la sclérotique jaune, les lèvres mauves. La rose était fanée. Elle avait vingt-deux ans, une mauvaise fausse couche l’avait laissée sur le flanc.
En prêtant aux animaux des fonctions quasi humaines, elle ne faisait rien d’autre que de regagner l’univers magique où, enfant, elle était entrée de façon si familière avec les contes de fées.
Dans le bar, il restait quelques bouteilles d’apéritif et du cognac. Elle s’en servit un verre, le but d’un trait, c’était la première fois, elle vit un éclair rouge comme si Zorro l’avait frappée de son fouet entre les yeux et elle pleura les larmes de Michel Strogoff sous la lame chauffée à blanc.
Mais elle qui aimait les bêtes, qui défendait jusqu’au dernier margouillat, qui secourait les animaux sauvages, elle dont je me souviens une civette aveugle dans les bras, comment avait-elle pu porter de la panthère, sublime animal en voie d’extinction ?
Il y a quelque chose de fascinant dans la destruction, un immeuble soufflé qui s’effondre sur lui-même, un buffle qui devient viande, et l’on saisit le vivant ou le passé, dans l’éphémère, une impression d’irréalité.
Elle n’était là que pour et par lui, elle n’avait jamais quitté la France et quand il lui avait proposé de l’accompagner « au bout du monde », elle l’avait suivi sans une hésitation, comme s’il lui avait proposé un tour de valse sur une chanson d’Édith Piaf.
Elle me dit que tout au long de sa vie elle avait rencontré tellement d’anticolonialistes, politiques, philosophes, écrivains, enseignants, commerçants et maintenant militaires et fonctionnaires de la République, qu’elle se demandait comment la colonisation avait été possible et même si elle avait pu avoir lieu. À les en croire, à part Dubois et elle, personne n’y avait mis la main, ça ressemblait à l’Occupation en France. Personne n’avait collaboré, juste une idée en l’air !