Enfin échappé du danger
Où mon sort me voulut plonger,
L’expérience indubitable
Me fait tenir pour véritable
Que l’on commence d’être heureux
Quand on cesse d’être amoureux.
Lorsque notre âme s’est purgée
De cette sottise enragée
Dont le fantasque mouvement
Bricole notre entendement,
Crois-moi qu’un homme de ta sorte,
Libre des soucis qu’elle apporte,
Ne voit plus loger avec lui
Le soin, le chagrin ni l’ennui.
Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
N' ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Mon bras qu'avec respect tout l'Espagne admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,
Tant de fois affermi le trône de son roi, Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?
Ô cruel souvenir de ma gloire ...
Vos beaux yeux sur ma franchise
N'adressent pas bien leurs coups,
Tête chauve et barbe grise
Ne sont pas viande pour vous ;
Quand j'aurais l'heure de vous plaire,
Ce serait perdre du temps ;
Iris, que pourriez-vous faire
D'un galant de cinquante ans ?
Ce qui vous rend adorable
N'est propre qu'à m'alarmer,
Je vous trouve trop aimable
Et crains de vous trop aimer :
Mon cœur à prendre est facile,
Mes vœux sont des plus constants ;
Mais c'est un meuble inutile
Qu'un galant de cinquante ans.
Si l'armure n'est complète,
Si tout ne va comme il faut,
Il vaut mieux faire retraite
Que d'entreprendre un assaut :
L'amour ne rend point la place
À de mauvais combattants,
Et rit de la vaine audace
Des galants de cinquante ans.
Je ne viens pas ici consoler tes douleurs ;
Je viens plutôt mêler mes soupirs à tes pleurs.
Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées,
La valeur n'attend point le nombre des années.
Le passé me tourmente, et je crains l'avenir.
Qui ne craint point la mort ne craint point les menaces.
L'INFANTE : L'amour est un tyran qui n'épargne personne :
Ce jeune cavalier, cet amant que je donne,
Je l'aime.
LÉONOR : Vous l'aimez !
L'INFANTE : Mets ta main sur mon cœur,
Et vois comme il se trouble au nom de son vainqueur,
Comme il le reconnaît.
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
Ma plus douce espérance est de perdre l'espoir.