Le calembour, c'est l'un des procédés les plus utilisés au Japon dans le senryû. Je vous ferai grâce ici d'exemples, car ils devraient être accompagnés d'explications qui pourraient être fastidieuses ; le calembour résiste à la traduction.
Dans le haïku suivant et grâce à deux homophones, les mots saints et seins ( tous deux peuvent être de glace, au sens figuré ), je me suis amusé avec les mots et...avec nos traditions :
On n'a jamais vu
des seins de glace en juillet
Ah ! baiser l'été !
Même si le haïku est un genre fondamentalement descriptif, la poésie n'a pas pour vocation de représenter tel quel le monde phénoménal, pas plus au Japon qu'en Occident. La poésie est une création - poieîn en grec signifie faire -, elle cherche à inventer d'autres mondes au moyen du langage, à créer des images nouvelles, toujours inédites.
Ainsi, ce poème d'Issa crée une relation inattendue entre les mots fond et pluie :
Point du jour
l'alouette chante
du fond de la pluie
Et que tous ceux qui cherchent encore aujourd'hui du sens caché ou du double sens au haïku veuillent bien se référer à Bashô lui-même, son tout premier maître : Un haïku, disait-il, "c'est simplement ce qui arrive en tel lieu, à tel moment"... Et encore : "Un hokku [entendez haïku] doit [...] posséder un sens limpide."
(p.26)
Pour l'école de Bashô, "partir des mots et outils" signifie notamment "partir d'un poème d'autrefois", une méthode empruntée aux Anciens.
Les auteurs japonais ou leurs traducteurs s'amusent eux aussi en écrivant. Ainsi ce jeu de mots avec des contraintes dans une traduction d'Issa:
"Le vent du printemps
découvre les fesses
du couvreur"
Dix-sept syllabes, c'est peu. Il va donc falloir recourir à des astuces pour exprimer le maximum de sens dans un minimum de mots.
Pour réduire vos phrases à l'essentiel, vous devez principalement faire appel à deux procédés : la parataxe et l'ellipse.
Voici une traduction de 1906 du haïku le plus célèbre de Bashô. On peut lui reprocher d'être malhabile car elle cumule les mots inutiles :
Une vieille mare
et quand une grenouille plonge
le bruit que fait l'eau
Le même, mis en parataxe :
Vieille mare -
Une grenouille plonge
Bruit de l'eau
Faites des jeux de mots!
"Nuit de canicule
Sur le derrière de ma femme
l'éclat de la lune"
Patrick Blanche
Poème de la "démentalisation de notre rapport au monde" (Alexandre Lhôtelier) ou "art d'écrémer la réalité de sa vibration idéologique" (Barthes), le haïku est le poème du lâcher-prise. Mais, tout aussi paradoxalement, il est le poème de la capture de l'éphémère, de l'observation attentive des petites choses fugaces.
"Un haïku, c'est aussi donner au lecteur un maximum de sens dans un minimum de mots."
Donc, qu'on se le dise une fois pour toutes : dans le haïku, il n'y a pas le moindre zeste de zen, ni même de "spiritualité" sous quelque forme que ce soit.