Le Pied à terre

C'est encore délicat, pour une femme, d'aller courir seule dans la campagne. L'idée de profiter librement de l'espace extérieur, sans crainte et sans contrainte, de s'aventurer dehors le soir, de se réapproprier le crépuscule, la nuit, la rue, ne va pas toujours de soi. Il y a encore des dangers objectifs, et aussi des stéréotypes, des freins inconscients puissants...

Je suis née dans une famille où les femmes courent, mais c'est une liberté (comme la nage) dont les femmes ont été privées pendant très longtemps. L'excellent documentaire de Pierre Morath : free to run, qui retrace les origines et le développement de ce sport très populaire aujourd'hui, rappelle que l'histoire de la lutte pour les droits féminins s'est prolongée, voire confondue, avec celle de la course à pied...

D’un point de vue plus personnel, plus intime, se voir opposer des limites est pour moi une nécessité. Quand j’ai envie de faire quelque chose, j’ai tendance à foncer tête baissée, « pleine balle », comme on dit, je ne me pose pas vraiment la question de savoir comment les autres vont le ressentir, de ce que je vais semer de moi-même sur mon passage… Avoir conscience de ces limites naturelles – et confiance en elles – est un bienfait en ce qui me concerne, car je ne suis pas sûre qu’on puisse être heureux en faisant toujours ce que l’on veut. Les limites me vont bien, elles me rassurent, j’aime jouer avec elles. Je suis une personne à la fois têtue et très obéissante, vis-à-vis des limites.

Il y a un vrai soutien, incroyable, indéfectible, extrêmement important pour moi ! J'ai l'impression d'être en famille. J'ai été très fière en novembre 2021, d'être nommée présidente de l'association Clermont-Ferrand Massif Central 2028 et de devenir le porte parole de la candidature clermontoise pour être capitale de la culture !

Ça ne concerne pas que Clermont-Ferrand mais l'ensemble du Massif Central. L'idée est de décentraliser un peu la culture, de faire circuler les œuvres et les gens, d'aller monter des projets dans des hameaux. Clermont sera le centre névralgique d'une dynamique qui irriguer tout le territoire....

Dans "noir volcan", vous consacrez un très beau poème à Clermont-Ferrand, où vous dites que "chacun porte en lui son volcan"... qu'entendez-vous par là ?

Grandir au milieu des volcans éteints, ou plus exactement endormis, à imprimé en moi l'image d'une nature double, à deux niveaux, des êtres : une surface absolument lisse, calme, sous laquelle quelque chose gronde, grouille, bouillonne...

Je pense que nous sommes tous constitués de la même manière : nous sommes dotés d un moi social qui dissimule des capacités intérieures et des univers allant bien au delà de nous mêmes ! Nous sommes beaucoup plus vastes que notre simple corps et ce que nous renvoyons visuellement.

J'écris comme je cours ; encore une fois, c'est pour moi le même mouvement, le même souffle... je pratique l'écriture et la course avec les mêmes priorités : ne pas s'alourdir, ne rien prendre de superflu, donner le maximum avec le minimum d'équipement. Le rapport entre le poids et la puissance, primordial pendant la course, est transposable dans l'écriture romanesque : il s'agit là du rapport entre le langage et le sens, la poésie qu'il génére, chaque mot doit être pesé et livré le maximum d'intensité...

La vitesse, c'est aussi la vie, le désir. Quand on me parle de "désir immobile", je vois ce qu'on m'explique, mais je ne le comprend pas, parce que pour moi toute forme d'envie à besoin de souffle, de feu ; il faut la nourrir ! Ma première pensée, quand je me réveille le matin, n'est pas de me rendormir : j'ai envie de me lever et d'agir, de faire des choses.

Les hommes estiment pouvoir dominer la nature, discipliner ses turbulences, ils pensent la connaître. [..] Elle peut les broyer à la seule force de sa respiration, elle n'a qu'à frémir pour qu'ils disparaissent

Comment après la randonnée, en êtes vous venue à pratiquer la course à pied, activité qui paraît capitale pour vous et à laquelle vous avez consacré deux livres : un roman : le coeur du pélican et un essai : petite éloge du running ?

Cette écriture poétique me procure un calme intérieur. C'est une façon de dire "je suis moi aussi agitée par des choses que je ne comprends pas", et essayer d'utiliser un langage quotidien, celui du dictionnaire, pour évoquer des émotions qui peinent à être décrites.