Retour à Malaveil

Je n'ai pas eu le temps de comprendre. Je n'ai pas eu de vie. J'étais gosse quand c'est arrivé, pas tellement déluré pour mon âge. On m'as mis entre parenthèses. Et puis rien. J'ai l'impression de camper dans ma vie, à côté de l'enfant que j'étais. Ce n'est pas comme si j'avais un frère plus jeune et que je me retrouve dans sa place encore chaude. Non. Ce gosse que j'étais est mort. Sa mort me regarde. Il est mort, et personne ne l'a enterré. Tant que je n'aurai pas fait ce que je dois faire, il n'aura pas la paix, et moi non plus.

Des noms qui étaient là depuis toujours. Ils ont réussi à les déraciner. Tous des noms de chez nous... Des Malaval, par exemple, il n'y en a plus. Leur ferme a été reprise par des hippies, qui font des fromages pure fièvre de Malte, avec leurs chèvres. Et des tapisseries.
Si le père Malaval voyait ça, il se flinguerait. Ses terres sont retournées à l'abandon.
Avant, ici, peu que peu, les anciens arrivaient à gagner leur pain, en s'acharnant. Ça ne paraît pas vrai, et pourtant. À présent, la terre, ce n'est plus au paysan à décider ce qu'elle doit devenir, c'est à ceux des ministères.
Nous, nous sommes de pauvres types, nous ne savons rien de rien. Et je suis là, à ruminer... Non, je ne suis pas agressif... Disons que je m'y perds un peu.
Ce village, il existe encore. Si on veut. C'est devenu une crèche. Nous sommes restés là, à quelques-uns, comme des santons. Le Petit Jésus, nous ne l'attendons plus. Nous n'y croyons plus. Nous ne croyons plus à rien.

D’ailleurs, ils l’ont dit hier, à la météo : s’il ne tombe pas des cordes, il risque de faire pas trop vilain. La météo, j’en raffole.

Il lui fallait une bestiole. Un chat ? C’est trop indépendant, ces monstres. Il n’y a guère que les chiens pour aimer les gens à fond et à crédit.

Personne ne nous connaît. Pour les étrangers, nous sommes restés des espèces de sauvages, dans nos vallées perdues. Un peu comme une réserve d’Indiens. On de ne nous a pas encore mis des barbelés, mais ça viendra. C’est en bonne voie. Ils ont déjà récupéré la moitié des Cévennes pour en faire un parc national. Là, ils interdisent aux habitants de toucher aux champignons et aux fleurs. Une chance, ils ont encore le droit de respirer.

S’il fallait en vouloir deux secondes à tous les imbéciles, la journée serait trop courte.

Le pastis du père Leblanc, c’est quelque chose. Il le fait lui-même. Heureusement qu’il ne le sert pas dans des gobelets en métal, ça les rongerait.

Les gens ont besoin de tout trouver merveilleux. Mais moi, je trouve encore plus merveilleux une cigale qui sort de son cocon, encore toute molle.

L’allemand, ce n’est pas une langue pour les Européens.

Les riches, je ne les critique pas Ce ne doit pas être amusant d’avoir trop de temps, trop d’argent, trop de tout, et juste pas assez d’envie.