Citations sur Retour à Malaveil (27)
Le Petit, je le revois ce jour-là, il était rudement beau. Pas de la beauté de ces types que tu vois au cinéma, à force tu connais tous leurs tics, ça te fait autant d’effet qu’une enclume dans un cimetière de tanks. Lui, était beau parce qu’il était vrai. Il n’avait pas l’air déguisé. Il était comme nous, avec nos soucis et notre fatigue, et c’est pas la peine de se parler pour s’entendre quand on a eu mesuré une fois avec son dos que la terre est basse et qu’on a plus tôt fait de compter son argent que sa peine. Ce Petit, il était ce qu’on aurait pu être si on n’était pas des endormis de naissance. Ce n’est pas tant notre faute. On nous raconte qu’il faut courir après la sécurité. Total, on la paie cher. Une fois que tu l’as, ta sécurité, tu es fait comme un rat mort. Tu n’as plus qu’à vieillir.
Quand cet abruti de Pivolo est allé le déclarer, il ne savait pas quel prénom lui donner . Normalement , c'est l'habitude de donner celui du père au premier fils . Pivolo , son prénom , c'était Germain . Pendant la guerre , ça ne paraissait pas trop indiqué . Alors la secrétaire de mairie a proposé Noël , vu l'époque . Va pour Noël ... Comme il était le seul gosse au Mas , tout le monde l'appelait le Petit . P. 19
Elle , elle dort comme une marmite . Le jour où les Russes s'amèneront , elle ne les entendra même pas . Parce que j'ai confiance , ils viendront .Ils ont 50000 tanks et pas de blé .Ils ne vont sûrement pas troquer leurs tanks contre des biscottes , ou en faire des moissonneuses-lieuses . Non , un jour , ils vont foncer dans le tas , droit sur l'Atlantique . P. 9
Et puis , un beau jour , brusquement , elle a épousé Pivolo .
Là encore , personne n'a compris . Lui , c'est une brèle finie , le genre qui se casserait les deux bras , crainte d'en faire trop . Il n'y a qu'un outil qui ne le fatigue pas , c'est la bouteille .P.24
Notre cimetière n'est pas fermé . C'est la dernière chose qui prouve qu'un village est encore vivant . Il y a même un Marseillais qui s'est fait enterrer chez nous , il ne faut pas désespérer ... P. 23
À force d'en voir, on se croit malin. Avec l'âge, tu te dis que plus rien ne peut te surprendre. Quand les autres tordus sont allés marcher sur la Lune, par exemple, je n'ai même pas ouvert la télé. La Lune, ça faisait déjà vingt ans que Tintin avait marché dessus. Moi, la Lune, je l'aimais bien, et ça ne me plaisait pas du tout que les Américains, ou qui que ce soit d'ailleurs, y mettent les pieds. Il faut voir la poubelle qu'on a réussi à en faire, de la Terre, alors, la Lune, j'aurais préféré que personne n'y touche.
Je n'ai pas eu le temps de comprendre. Je n'ai pas eu de vie. J'étais gosse quand c'est arrivé, pas tellement déluré pour mon âge. On m'as mis entre parenthèses. Et puis rien. J'ai l'impression de camper dans ma vie, à côté de l'enfant que j'étais. Ce n'est pas comme si j'avais un frère plus jeune et que je me retrouve dans sa place encore chaude. Non. Ce gosse que j'étais est mort. Sa mort me regarde. Il est mort, et personne ne l'a enterré. Tant que je n'aurai pas fait ce que je dois faire, il n'aura pas la paix, et moi non plus.
Des noms qui étaient là depuis toujours. Ils ont réussi à les déraciner. Tous des noms de chez nous... Des Malaval, par exemple, il n'y en a plus. Leur ferme a été reprise par des hippies, qui font des fromages pure fièvre de Malte, avec leurs chèvres. Et des tapisseries.
Si le père Malaval voyait ça, il se flinguerait. Ses terres sont retournées à l'abandon.
Avant, ici, peu que peu, les anciens arrivaient à gagner leur pain, en s'acharnant. Ça ne paraît pas vrai, et pourtant. À présent, la terre, ce n'est plus au paysan à décider ce qu'elle doit devenir, c'est à ceux des ministères.
Nous, nous sommes de pauvres types, nous ne savons rien de rien. Et je suis là, à ruminer... Non, je ne suis pas agressif... Disons que je m'y perds un peu.
Ce village, il existe encore. Si on veut. C'est devenu une crèche. Nous sommes restés là, à quelques-uns, comme des santons. Le Petit Jésus, nous ne l'attendons plus. Nous n'y croyons plus. Nous ne croyons plus à rien.
Il lui fallait une bestiole. Un chat ? C’est trop indépendant, ces monstres. Il n’y a guère que les chiens pour aimer les gens à fond et à crédit.
Les gens ont besoin de tout trouver merveilleux. Mais moi, je trouve encore plus merveilleux une cigale qui sort de son cocon, encore toute molle.