Moon brothers

Le prêtre m'étudie comme on étudierait
une peinture dans un musée,
son regard sur mon visage, cherchant les crevasses,
les cassures.

“C'est pas chelou comme deux mondes peuvent
s'installer comme ça, l'un à côté de l'autre ?” je lui dis.

Nell pose la tête sur mon épaule.
“C'est les gens qui se construisent des remparts” elle me dit,
et je comprends qu'elle m'a complètement
compris.

Je réponds rien.
C'est ça, sa bonne nouvelle ?
Je peux aller voir mon frère,
lui parler de meufs, de barbecues,
de trucs pour le distraire
de ce qui l'attend ?

Il y a rien de réjouissant là-dedans,
c'est juste une mauvaise nouvelle à l'envers,
toute boursouflée, repeinte, jusqu'à ressembler
à un trophée bien scintillant.

Son téléphone grésille.
"Il faut que j'y aille"
De l'autre côté de la rue, un SUV escalade
la chaussée.

Bob’s Diner


La façade du diner est toute décrépite,
peinture en miettes, enseigne au néon
à moitié pétée ;
dedans pareil,
carrelage craquelé,
posters tout pâles et déchirés.
Une serveuse entre deux âges,
chemise de bowling rose, sourit.
Son prénom – Sue – est brodé sur
sa poche de devant ;
le fil noir un peu décousu
ondule le long de la chemise
comme une petite plante grimpante.
 
‘Ça va, mon chou ?’ elle me demande,
et porte sa main à ses lèvres,
piochant une cigarette
juste derrière le comptoir,
comme si c’était total normal,
une serveuse qui fume dans un restaurant.
Et c’est peut-être normal, dans le coin.
 
Je sors le liquide qui me reste, je l’agite devant elle.
‘Pour quatre dollars, on a quoi, ici ?’ je dis.
 
‘Un sandwich au bacon et un café,
par exemple,
ça t’irait, mon chou ?’
 
‘Nickel’, je lui dis, aspirant
la queue de sa fumée de cigarette.
 
Elle crie ma commande à quelqu’un
derrière une porte battante, se retourne, verse du café,
splosh, splosh, dans une tasse un peu tachée,
la pousse vers moi sur le comptoir.
 
C’est amer et c’est épais, et c’est pas comme
le café new yorkais,
mais je me plains pas.

Ils ont coffré Ed pour le meurtre d'un flic,
un truc bien moche,
mais tous les criminels ne finissent pas sur la chaise électrique.
Y a des mecs qui écopent de quinze ans.
D'autres, de la perpétuité.

Ed, c'est la mort.
Mais c'est pas pour tout le monde pareil.

Ça dépend en fait
de qui
tu tues,
et d'où
t'étais
quand tu l'as tué.

Genre, par exemple,
tire pas sur un flic blanc à Walker Country, au Texas.
Si c'est ton truc, fais-le plutôt à Arlington, New York.
Là-bas, pas d'électrocution, pas d'injection.

Je trouve pas ça super juste, perso.

Je trouve que c'est un peu comme jouer
à la putain de loterie. [p. 118]

Karen a poussé un petit cri. J'ai ricané.
Après, pendant qu'on attendait son retour,
je me suis surpris à penser à un truc,
alors que c'était il y a super longtemps,
alors que j'étais trop petit pour comprendre
quoi que ce soit -
je me suis dit :
on peut savoir tout ce qu'il y a à savoir sur quelqu'un,
sa taille, son poids, ce qu'il préfère,
œufs à la coque ou œufs au plat,
mais y a un truc qu'on ne saura jamais :
c'est l'endroit où son cœur le mène. [p. 67]

on peut savoir tout ce qu'il y a à savoir sur quelqu'un,
sa taille, son poids, ce qu'il préfère,
œufs à la coque ou œufs au plat,
mais y a un truc qu'on ne saura jamais :
c'est l'endroit où son cœur le mène.

Ils ont coffré Ed pour le meurtre d’un flic, un crime bien moche,
mais tous les criminels ne finissent pas sur la chaise électrique.
Y a des mecs qui écopent de quinze ans.
D’autres, de la perpétuité.
Ed, c’est la mort.
Mais c’est pas pour tout le monde pareil.
Ça dépend en fait
de qui
tu tues,
et d’où
t’étais
quand tu l’as tué.
Genre, par exemple,
tire pas sur un flic blanc à Walker Country, au Texas.
Si c’est ton truc, fais-le plutôt à Arlington, New York.
Là-bas, pas d’électrocution, pas d’injection.
Je trouve pas ça super juste, perso.
Je trouve que c’est un peu comme jouer
à la putain de loterie.

You can know all the facts you want about
a person
- height, weight, the way they like their eggs -
but you'll never know for sure what's
driving his heart.