Désormais on était plus unis que jamais. Et pourtant au fond de nous, dans un recoin inaccessible, on s'était égarés, dissous, dissocier. La fissure qui avait caractérisé mes relations depuis des années s'était approfondie, elle avait creusé un fossé. On était ensemble tout en étant éloignés, sur deux planètes différentes.
Alfredo était vraiment tombé amoureux de Paola. Mais moi, je faisais partie de lui, et l'instinct de conservation l'emporte toujours sur l'amour.
Ce n'est pas parce que les gens ne sont pas comme on voudrait qu'on cesse de les aimer. Cette façon de te faire du mal... Je déteste ça. Tu me fais mal à moi aussi.
Jamais je n'avais éprouvé autant de haine qu'à cet instant. Et jamais je n'avais éprouvé autant d'amour que pour lui, à cet instant.
J'avais 16 ans et je n'arrivais pas à comprendre Alfredo. Je ne comprenais pas non plus le chagrin que je lui causais. Il avait beau être malheureux, souffrir comme une bête, il continuait de pardonner, de pardonner à tout le monde. Les êtres qu'il aimait le plus - son père et moi - étaient ceux qui le faisaient le plus souffrir. Mais je voulais qu'il soit entièrement à moi. Je pensais que son amour était un dû.
On avait sucé la haine avec le lait de nos mères. A l'âge des premiers pas, on avait appris que l'Etat c'est l'ennemi. Le traître. Et la police, son ours domestiqué. On était incapables d'établir une distinction, on était contaminés.
Il encaissait sans réagir. Cet immonde alcoolo ne se rendait pas compte que ses fils n'avaient pas le courage de se révolter mais qu'ils avaient été capables de le tuer.
Parfois on oublie les choses qu'on a vécues. On les laisse de côté parce qu'elles semblent infantiles, absurdes, on les abandonne, on les refoule. Puis un événement vient les ramener à votre mémoire. Et la vision de la réalité se modifie.
Parfois, on oublie les choses qu’on a vécues. On les laisse de côté parce qu’elles semblent infantiles, absurdes, et on les abandonne, on les refoule. Puis un événement vient les ramener à votre mémoire. Et la vision de la réalité se modifie.
C’est une sorte d’étang. Son eau est claire, inerte. Mais si l’on jette un caillou dedans, elle s’agite, se remplit de terre, se trouble.
Cette terre qui salit l’eau était là, immobile, avant qu’une main décide de la faire remonter à la surface. Mais ça ne durera pas, bientôt tout rentrera dans l’ordre.
C’est un cycle.
C'était peut-être le milieu qui nous avait produits. On avait peut-être ça dans le sang. C'étaient peut-être ça dans le sang. C'étaient peut-être les gens qu'on fréquentait, l'ennui, l'absence de buts. La certitude de ne pas pouvoir évoluer, la prise de conscience de l'inéluctable. dehors, les années se succédaient, et le monde changeait. Au fond de nous-mêmes, on restait figés.
On n'avait pas de raison de vivre, on n'était pas capables d'en trouver une. On vivait, un point c'est tout.