C'est le genre de livre, très sombre, mais pas d'une noirceur vive, plutôt d'un gris anthracite bien boueux, qui fait se dire deux choses aux gens privilégiés dans mon espèce : soit que décidément cette misère est horrible, soit (attention, phrase moralisatrice) que décidément, j'ai beaucoup de chance et je devrais arrêter de me plaindre.
Commençons par l'aspect social, raison pour laquelle j'ai ouvert le livre (et accessoirement parce que l'autrice a un nom en U et qu'il me fallait cette lettre pour le défi ABC et... bon, ça va, j'essaie de détendre l'atmosphère, car ce qui va suivre est loin d'être joyeux.)
Telle est mon impression après une lecture effectuée presque d'une traite. J'ai plongé en cette lecture, car c'est bien un plongeon dans les abysses de l'humanité, un lieu que tout le monde, même la police, a abandonné, la Forteresse, une banlieue italienne (le seul indice qu'on aie est qu'à un moment, mention est faite des gens du sud, donc ce lieu n'est pas au Sud). L'Italie des années de plomb, en pleine misère, dans un roman social parfois trop réaliste : prison, drogue, chômage, saleté, ennui… Loin du romantisme qu'imagine Marta, un des rares personnages de l'extérieur. Il est d'ailleurs intéressant de se rendre compte que seul l'éloignement géographique de cette forteresse-prison semble un peu d'espoir (ainsi que le personnage très lumineux de la mère de Bea, la narratrice et protagoniste). N'ayant jamais vécu la pauvreté, je ne saurais dire si c'est caricatural ou bien réel, des gens plus expérimentés seront meilleurs juges en la matière.
Le style est simple, je dirais même assez pauvre, mais d'un autre côté, un style plus raffiné aurait surpris car la narratrice est peu éduquée. le langage des personnages est très fleuri, de la vulgarité un mot sur deux, il paraît que lorsqu'Hugo et
Zola mettaient des tournures un peu familières dans la bouche de leurs personnages, cela choquait, mais là, ce sont des torrents d'insultes. Pas très beau, mais normal.
J'aborde plus brièvement d'autres thèmes :
La relation des Jumeaux, pas si fraternelle que cela, est un amour-haine assez intéressant à découvrir. Ce n'est pas malsain car les deux personnages sont ainsi, il y a donc réciprocité. Les premières pages, on a l'impression qu'ils se haïssent, impression qui s'atténue au bout d'un très long moment. D'ailleurs, si la protagoniste ne parle et n'agit pas toujours sincèrement, la narratrice, elle, est sincère, grâce aux quelques passages en italique qui traduisent ce que Beatrice pense et ressent réellement.
L'intrigue et l'aspect narratif. Selon moi, c'est bien mené, même si j'ai deviné la fin.
Cette fin lumineuse, écrite au futur, il fallait au moins ça, mais cela semble un maigre pensement sur des dizaines de blessures. Il y a à la fois du suspense et aucun, puisque l'on connaît la fin dès le début (on ne sait pas le pourquoi du comment, qui est révélé au milieu du roman). C'est le récit
d'une mort lente, de la fatalité des déterminismes sociaux . Si j'étais un peu cynique, je conclurais "la drogue, c'est mal, les enfants", mais d'un autre côté, c'est vrai.
D'un point de vue des références, j'ai hésité à le comparer à l'Amie Prodigieuse : même pays, même aspect social, amitié ambiguë, analepse (mot stylé pour dire "flash-back") mais il n'y a pas cette galerie de personnages dans
le bruit de tes pas et c'est plus sombre. Sur ce, je remercie l'auteur de la liste "romancières italiennes", qui m'aura fait découvrir ce roman, vous salue en présentant mes excuses pour la longueur et m'en retourne lire des choses plus gaies.