Citations sur Sénéchal, tome 2 (17)
Par hasard, mon regard s'échoua sur le minois d'un damelot qui, là, en bas, coincé entre la multitude et tout ruisselant de suance, serrait fortement les mâchoires, son visage contracté sous l'effort qu'il déployait pour ne point mourir d'étouffement. En un clignement de paupières, un carreau se logea dans son œil, ressortit par sa nuque. Sa tête s'alourdit, s'affala sur l'épaule d'une bourgeoise, son corps demeurant toujours obstinément droit et debout, maintenu par la foule compressée qui refusa qu'il s'écroulât. La femme, alors prise de panique et aspergée de sang, hurla de plus belle.
Une botte m'explosa le nez. Ne vint que le blanc, intense,pur, lumineux, qui gicla sur mes prunelles comme une révélation de la malemort. Après un terrible craquement, le silence bourdonna à mes oreilles, chantant l'arrivée mauvaise d'un fleuve écarlate qui déborda jusqu'à ma bouche. Un fleuve de métal rubicond, fondu, ruisselant avec lourdeur sur ma langue, sur mes lèvres, dégoulinant d'un nez qui n'était plus qu'un bout de peau boursouflé, constellé en dedans de cartilages éclatés.
Les véritables amis se comptent sur les doigts d'une main.
Des deux, je suis manchot.
_ Prévoir, toujours prévoir. Ce devait être la devise de tout dirigeant.
Des applaudissements embrasèrent la cour, acclamant les prouesses d'un cracheur de feu dont les flammes s'étaient presque élevées jusqu'au premier étage. Mais on eût dit qu'ils venaient plutôt féliciter la clairvoyance d'Esther.
_ J'admire votre vision des choses, Votre Grandeur. D'autres s'emmurent dans les oubliettes d'hier tandis que vous êtes déjà sur le donjon de demain. (p. 224)
Ce que vous devez comprendre, mes sieurs, reprit-elle, c’est que nous ne sommes pas dans une guerre sainte, comme l’affirme ouvertement Démosthène, avec les raccourcis qu’apprécient les simples d’esprit. C’est bien plus complexe que cela. Nous entrons dans une guerre d’idées. Il est question d’opposer la lumière de l’individu à l’obscurité des masses.
Il ne vous a pas échappé que deux guerres différentes se livrent en ce moment même en Méronne : l'officielle et l'invisible. (p . 193)
Force m'était d'avouer que je commençai à m'y perdre. Revisiter ainsi l'Histoire, la tordre pour lui donner une toute autre forme était un exercice ardu, surtout lorsque l'ensemble allait à l'encontre de mes croyances. (p. 131)
C'était myr Gylmenas qui atténuait la puissance de l'oraison, ou plutôt sa résonance démesurée. Et il avait raison. Car rien, en notre monde et en ceux qui suivaient, n'était plus puissant qu'une prière. Une prière c'était un lambeau de Foi pure. C'était une conviction inébranlable en quelque chose. C'était une offrande, un morceau d'âme offert à une entité supérieure. (p. 262)
De tous les hommes du comte de Haplen, celui qu'il faut craindre le plus, c'est sa femme. (p. 185)
L'un n'est qu'un gueux sénéchal, l'autre un noble chancelier. Mais...attendez... Il me faut un titre. Oui, comment pourrais-je le nommer, ce putain de conte ? Ah ! je sais... Le conte des Eclate-Nez.
Othon fronça les sourcils. Ses yeux se suspendirent bêtement à ma truffe boursouflée. Il bafouilla :
_ Les Ecla...?
Et mon poing lui percuta la gueule. ( p.79)