Citations sur La passe-miroir, tome 1 : Les fiancés de l'hiver (544)
Le grand-oncle désigna alors la vieille écharpe tricolore, usée par les ans, qui reposait paresseusement en travers de ses épaules.
- C'est ton premier golem, ça ?
- Si.
celui-là même qui a failli nous priver à jamais de ta compagnie.
Ophélie acquiesça, après un temps. Elle oubliait parfois que cette écharpe, qu'elle traînait toujours dans son sillage, avait naguère essayé de l'étrangler.
_ Je ne te reconnais plus! Tu faisais plein de chichis avec tes cousins et maintenant qu'on te colle un barbare au fond du lit, te voilà toute résignée!
Ophélie se figea, l'éponge dans une main, une tasse dans l'autre, et ferma les yeux. Plongée dans l'obscurité de ses paupières, elle regarda tout au fond d'elle-même.
Résignée? Pour être résignée, il faut accepter une situation, et pour accepter une situation, il faut comprendre le pourquoi du comment. Ophélie, elle, ne comprenait rien à rien. Quelques heures auparavant, elle ne se savait pas encore fiancée. Elle avait l'impression d'aller au-devant d'un précipice, de ne plus s'appartenir du tout. Quand elle risquait une pensée vers l'avenir, c'était l'inconnu à perte de vue. Abasourdie, incrédule, prise de vertiges, ça oui, elle l'était, comme un patient à qui l'on vient de diagnostiquer une maladie incurable. Mais elle n'était pas résignée.
- J'ai cru mourir..., agonisa une voix derrière Ophélie.
- Gaffe, dame. Chaussée comme vous êtes, ce sol-là est une vraie glissoire.
Soutenue par le garde-chasse, défaillante, la tante Roseline cherchait son équilibre sur la surface des douves. A la lumière de la lanterne, son teint paraissait plus jaune encore qu'à l'accoutumée.
Ophélie posa à son tour un pied prudent hors de son traîneau et assura la prise de ses souliers sur la glace. Elle tomba aussitôt à la renverse.