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Critique de SZRAMOWO


Avec Pierre de Stonne, Dario hausse le niveau d'exigence de son écriture. Il avait, déjà, placé la barre très haut dans la Valise et le cercueil, son premier roman, et Palikao 79 son deuxième.
Dans son dernier opus, il se surpasse et confirme son talent à traiter de l'histoire, la grande histoire, celle des historiens, en la regardant du point de vue de la pâte humaine que les grands de ce monde jettent en pâture à la férocité des événements qu'ils provoquent en lui laissant le choix de « (…) crever la gueule ouverte pour les Rotschild. »

Ce faisant, il joue de questions à propos des quelles les historiens n'ont jamais cessé de s'étriper :
Les grands hommes font-ils l'histoire, ou est-ce l'histoire qui fait les grands hommes ?
L'histoire amène-t-elle les humains à se surpasser ou non, pousse-t-elle le personnage falot et inodore à se muer en héros, en salaud ou à continuer ?

Le roman Pierre de Stonne se déroule entre 1939 et 1945, période trouble pour la France, drôle de guerre, débâcle, armistice, résistance et collaboration, théorie controversée du glaive et du bouclier, Radio Londres et ses messages codés.

L'alchimie des mots et des phrases de Dario, nous plonge dans l'atmosphère de l'époque :
« J'avais plus soif que chaud et plus chaud que peur» dit le tankiste dans son Renault B1 bis , fier de ses 307 ch et ses 6 cylindres, avant d'affronter les Panzer II allemands.
« Nous étions les premiers à sentir cette étrange puanteur d'huile chaude et de chair rôtie : le parfum de la guerre nouvelle. »

Avant d'en arriver là, il a fallu patienter tout l'hiver 39-40 dans cette promiscuité des baraquements en Ardennes, cette mixité sociale qui ne disait pas encore son nom qui fait se côtoyer «  « (…) un chti épais à l'accent minier (…) et l'héritier au nom à particules multiples que ses compagnons de casemate ont surnommé Re-de-de, humour facile mais compréhensible.

En mai 1940, sur la route des Flandres, « L'impunité dont jouissaient les avions allemands dans le ciel concourait au découragement général. » -notez la musicalité de « concourait au découragement » - « C'était un printemps avec des senteurs d'été et de mort. le bitume des routes s'était mis à mollir », et « une colonne de bouches sèches dans un nuage de gasoil » à fuir devant l'ennemi, se mêlant à ceux que l'on appellerait les réfugiés, « Tous traînaient des pieds, mains crochues, bouches poudreuses. »

Jusqu'à la débâcle ! Malgré la bataille de Stonne, « Stonne, village perdu et repris dix-sept fois. » ; malgré ce colonel au Mont Caubert, « (…) long, puissant, cuirassé (…) Dans sa longue veste de cuir, barrée d'une sorte de ceinture sombre (…) » - faisant penser à- « un éléphantidé…ou un pachyderme préhistorique. » Vous le reconnaissez ?

Le roman va dès lors suivre deux personnages dans cette débâcle, personnages qui font, comme les Français, des choix différents, association improbable en temps de paix, d'un titi parisien, Faubourg du Temple et Levallois, escroc à ses heures, toujours en avance d'une arnaque et cet aristocrate « (…) à la chair rose, ni grasse ni maigre, qui fait les beaux ovales de visage. »
« Les pauvres ont de la glace en hiver et les riches en été. » souligne le parisien. Version onirique de la lutte des classes…

Je ne spoilerai pas, la 4ème de couverture en dit assez long, l'histoire du manuscrit Soleil Gris dont le titre revient au fil de l'histoire comme une antienne.
Je reviendra sur la qualité de l'écriture, sa puissance évocatrice et les nombreuses références qui émaillent le texte de façon subtile, laissant au lecteur la joie de la surprise.

De Gaulle bien sûr, mais aussi Simenon, Flaubert dont on retrouve la rondache en cuir d'hippopotame du conte La Légende de Saint Julien l'Hospitalier, Céline, Brasillach et les écrivains collaborationnistes, les incertitudes et les déceptions de l'épuration d'après guerre, « Les dénonciations staliniennes de confrères, les gaullistes commençaient à en avoir ras le képi. » ; « Les grands éditeurs étaient morts en déportation, faisaient déjà de bonnes affaires avec les syndicats; ou attendaient leur sort à Fresnes avec Tino Rossi. »

El lisant Pierre de Stonne on ne peut s'empêcher d'imaginer une filiation entre les partitions de la société que nous connaissons aujourd'hui et les fractures que cette période trouble de l'histoire de France a installées.

Un roman dont je recommande la lecture avec enthousiasme.
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