Qu'ils vivent insouciants ou perclus de remords m'est indifférent. Je m'en fous complètement. En un certain sens ils n'existent plus.
Les seules fois de ma vie où j’ai vu des spectacles, c’était en taule. Les premières années c’était vraiment une fête, un truc rarissime. On était tous volontaires pour aménager le réfectoire, pousser les tables et les chaises, accrocher aux fenêtres de vieilles couvertures pour faire un semblant d’obscurité. Et puis au milieu des années 90 c’est devenu monnaie courante, un truc banal. Toutes les semaines un nouveau pack culturel bien démago, session de rap, de slam ; impromptus théâtraux, sur le racisme, les ravages de la drogue, l’injustice sociale et autres calamités du monde moderne. Plus personne y allait, blasés on était… À la fin, c’était presque les concert de musique classique qui finissaient par avoir plus de succès. Moi, en bon fayot, j’ai assisté à tout, ça faisait des points, je me faisais bien voir, je multipliais les distinctions sur mon costume de bagnard. Converties en année de remise de peine, ça faisait un beau pactole.
Gilbert et moi restions collés l’un à l’autre comme un naufragé à son rondin, tous les deux étrangement oppressés, comme si le délabrement de nos vies se lisait sur nos visages, comme si l’odeur de défaite qui émanait de nos parkas défraîchis dressait un cordon sanitaire autour de nous.
Ce qu’ils voulaient entendre, ils te l’arrachaient de la bouche. Ils avaient une façon de t’interroger, de te poser les questions en suggérant les réponses, d’orienter l’entretien, de manipuler ton discours, de t’amener là où t’avais pas prévu, avec des « Vous voulez donc dire que,» et des « On pourrait donc en conclure que …» Et toi, t’es comme un con, tu sens que c’est pas exactement comme ça que tu penses, mais comme il faut pas laisser de blancs trop longs, à cause du ronron de la caméra qui tourne, tu dis » Oui oui, c’est ça » sans trop réfléchir, et ton destin est changé.
C'est difficile d'expliquer aux gens que la recherche d'un coupable me ferait au contraire l’effet de salir la mémoire de ma fille.
Mais c'est ma mère,et dans l'océan de détresse où elle menace de perdre la raison,je fais la bouée deux jours par semaine.
Moi,en bon fayot,j'assistais à tout,ça faisait des points,je me faisais bien voir,je multipliais les distinctions sur mon costume de bagnard.Converties en années de remise de peine,ça faisait un beau pactole.
Quelque chose alors m'éblouit, qui commandait une entrée en haute vie, comme on dit haute mère, avec le large qui s'offre, infini et contenant tout ; avec l'écriture, comme boussole et comme bouée, pour me maintenir sur la houle immense.
Moi faut pas trop que je pense. Les jours bien métronomés empêchent de penser. Les obligations empêchent de dériver. L a surveillance de délirer. L'obéissance de réfléchir. (p.96)
J’avais glissé le bouquin sans emballage dans mon blouson. Dans la poche de poitrine ça cognait fort ; je me demandais qui tirait sur qui. Mon coeur à chaque battement semblait perforer le carton de la couverture