Citations sur La suture (30)
« Si c’est une bonne étoile, pourquoi n’a-t-elle pas accordé ses faveurs au femelles des temps de paix ? »
« Combien prend de lettres le silence des tombes doubles ? »
« Moi qui vis au dessus de mes moyens, dans tous les sens du terme, dans le luxe noir de la douleur. »
« Je m’installe dans mon nouvel atelier : l’ordinateur en machine à coudre, mes carnets en fiches de mensurations, la boîte à chaussures en boîte à couture. »
L'artère principales, le faubourg de France, a connu, durant sa longue vie pavée, à la fois les escarpins de Nicole, mes mocassins d'écolière et les baskets de Camille. Jamais ensemble cependant... Cette rue est comme la nervure selon laquelle nous raccommoder.
Cette année, Nicole aurait son certif'. Elle se l’était juré. Au café, sur le faubourd de Montanglaust, ne pas avoir d'instruction passait inaperçu, ça rassurait même. Ici, au Blanc, les filles ont de l'éducation, du savoir, même un tout petit peu ; et le savoir engendre des discussions, c'est-à-dire le contraire de vociférations d'ivrognes ; et les discussions permettent de mettre au jour des affinités, c'est-à-dire le contraire de rapports forcés ; et les affinités font voir la vie en plus grand. Plus grande la vie.
Alors le certificat d'études, ce serait cette année. Juin 1953.
Après la soupe, tout le monde ira se coucher tôt, dans le souci de faire durer la trêve, dans l'effroi de la semaine à venir... L'armistice du dimanche soir a le même goût douteux que celui signé par la France dans les semaines précédentes.
De cette mathématique du fracas et de la parte, je vais poser une équation à deux inconnues : le passé de ma mère, le futur de ma fille. Brouillons éternels. Clairement, ces deux inconnues le resteront pour toujours.
Je vais reprendre le fil générationnel que la mort a trouvé marrant de couper entre ses dents, telle une couturière capricieuse et impatiente, et je vais raccommoder les trous, faufiler des pièces aux coudes et genoux de ce grand squelette prématurément décharné. Je vais les coudre ensemble.
"Ce que sont les meilleures mères, une seule phrase peut le dire : elles se donnent et elles s'en vont." Christian Bobin
Dans le silence de novembre et la grande paix des morts,mon petit théâtre,lesté de fiction hésitante et d'acteurs chimériques,décide d'une autre scène.Chaque tableau comme une écluse au canal où flottent mes disparues.
C'est toujours une émotion particulière:le papier jauni qui bouloche un peu,l'encre diluée par endroits,l'écriture appliquée du préposé,les tampons terriblement officiels,l'efficacité zélée de la République,la légère odeur de moisi,et la crainte que tout ne se désintègre entre vos doigts.
Je vais tisser une étole à réchauffer mes mortes,composer une histoire à e repeupler,pour épaissir mon sang que l'absence du leur a rendu trop liquide,trop rapide-un torrent tout fou où ne battent que ces chiffres,plus jamais les saisons.
Le lilas, la glycine, le colza soûlent les narines. Le coucou, le pissenlit saturent les talus. Cinquante nuances de vert s'étagent sur les collines, du plus tendre au plus profond. (p.29)