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Critique de jlvlivres


« Une Singularité Nue » (A Naked Singularity) est initialement paru en 08, plus ou moins à compte d'auteur, chez XLibris (en fait là où travaillait sa femme) par Sergio de la Pava, quasiment ignoré et refusé par quatre vingt dix éditeurs, jusqu'à sa parution (12, The University of Chicago Press, 690 p.) et récompensé en aout 13 par le PEN Prize (Pen/Robert W Bingham Prize) pour un premier roman. Finalement traduit par Claro (16, Le Cherche Midi, 850 p.).
de Sergio de la Pava, on sait peu de choses, sinon qu'il est né en 70 dans le New Jersey de parents originaires de Colombie, avec un père de Manizales et une mère de Cali. On sait (c'est sa bibliographie personnelle) qu'il ne vit pas à Brooklyn (mais dans le New Jersey), mais par contre qu'il a exercé cette fonction de « public defender » (avocat commis d'office) après des études de droit à Brooklyn Law School. Il a mis 6 ans pour écrire ANS et en a corrigé les épreuves entre deux comparutions au tribunal (NYC Criminal Court, 100 Centre Street, NYC).
Pourquoi ce titre qui fait référence à la physique pure et dure. Une singularité nue étant un point spécifique, doté de propriétés singulières, c'est-à-dire qui ne sont pas continuellement vérifiées (le terme singularité), et qui sont par contre observables de l'extérieur (le terme nu). Il est vrai que la couverture initiale en forme de vague trou. Un trou noir est une singularité de gravité, mais pas nue car la lumière s'y perd.
C'est une publicité de The University of Chicago Press dans « Bookforum » de l'été 12, acheté à Amsterdam Schiphol qui m'a tiré l'oeil. Avec la couverture du livre, on pouvait lire « A fine encyclopedic romp in the Joyce/Pynchon/Wallace tradition ». Déjà d'avoir ces trois bonnes fées, d'après Miles Klee (« The Notes ») se penchant sur l'oeuvre…(tiens il faudra que je le lise, celui là). Donc à peine arrivé à Boston, je me suis précipité à la librairie du MIT, en face de mon hôtel près de la station de métro, puis au Harvard Book Store à Cambridge. Là, pour 18.00 USD de l'époque (une misère), j'ai découvert un ouvrage fleuve (680 pages, donc autour de 2 centimes d'euro la page), avec une écriture quelquefois déconcertante (l'argot spécifique de la drogue) et un design de couverture surprenant à ne pas lire en plein soleil. Isaac Tobin est senior designer à UCP, et met magnifiquement en pages certains ouvrages, avec des polices qu'il invente.
Tout commence par une journée ordinaire de Casi à NYCCC, le tout sur 42 pages de 11.33 à plus de 17.15, au cours de laquelle on voit défiler Mr Chut, Ben Glenn, Glenda Deeble, Robert Coomer et Terrens Laka, Rory Ludd, Ray Thomas, Darril Thorton, tous pour de petits délits (vente illégale dans le métro, petit vol, agression sexuelle). A chaque fois 1-2 pages suffisent à caractériser l'infraction, ses circonstances et sa sanction. le tout se joue en une demi-heure. A chaque fois également, tout se passe par dialogue, avec une syntaxe spécifique à chaque personnage. Evidemment il y a de quoi surprendre, mais cela rend le texte plus incisif.
Et cela se déroule ensuite sur environ 400 pages, entrecoupées par des discussions entre Casi et ses collègues, dont Dane. Dialogues sur tout et n'importe quoi. Cela va de ce qu'ils vont manger, à des comparaisons entre la sonate Appassionata et du Clair de Lune. Ou au cas de Richard Hunt, cas 26, drogué récidiviste de 33 ans, avec plus qu'une seule dent, mais trois oreilles. Ou encore à des savantes considérations sur les nombre parfaits et premiers, le théorème de Pythagore ou la théorie unifié de la relativité. le thème central de ces digressions reste la perfection, que ce soit en musique ou en physique.
Après avoir fait connaissance avec la mère colombienne de Casi (d'où les quelques mots en castellano), son cousin Armando, le reste de la famille (Buelo et Buela) et les recettes des empenadas ou tortillas, on découvre la vie de Wilfred Benitez, boxeur portoricain, devenu professionnel à l'âge de 15 ans. On retrouve souvent ces digressions sur la boxe chez Sergio de la Pava (voir sa nouvelle « A Day's Sail » parue en 10 dans Triple Canopy dans laquelle il mixe le combat d'Arturo Gatti contre Mickey Ward et la littérature de Virginia Woolf).
Tout cela pour en arriver à la seconde partie (et chapitre 12) 316 pages plus loin. A signaler que chaque partie (3 en tout) est séparée de la précédente par une illustration géométrique en noir et blanc (toujours de Isaac Tobin). Il n'y a pas non plus de chapitre 6, mais un chapitre 3*2*1 (cf les nombres parfaits).
C'est aussi à ce moment, après les 400 premières pages que l'on commence à voir le plan de Dane et Casi pour braquer les braqueurs (cela se fait tout d'abord dans le secret de la confession). Et naturellement, comme il s'agit de leur voler de l'argent volé, il n'y aura pas de suite, réalisant ainsi l'équivalent du crime parfait (toujours le souci de la perfection). D'ailleurs Casi n'a jamais perdu un procès.
Alors pourquoi cette référence à T. Pynchon ou D.F. Wallace ? Pourquoi ce titre de « A naked singularity » ? Une singularité nue, c'est une variété mathématique et/ou physique. Une singularité mathématique se caractérise par sa non-définition en ce point, soit par son impossibilité à la définir (ex. la fonction 1/x pour x = 0), ou à la caractériser (ex. un point de fronce). En physique, la définition est plus large, où pour simplifier, on admet des valeurs physiques infinies (un point où la masse devient infinie). Enfin en physique relativiste, on distingue des singularités nues, qui ne sont pas cachées par un horizon (ex. le trou noir, d'où la lumière ne peut revenir, donc que l'on ne peut pas voir). L'action se passe à New York, par un de ces hivers très froid (on apprend cela tout à la fin) et rigoureux comme il en existe sur la cote Est. C'est aussi l'époque où la justice est la plus sévère aux Etats Unis. En fait ce livre correspond à la description du système judiciaire américain (ou du moins d'un certain système), sur lequel la lumière ne peut plus nous éclairer. C'est la justice des marginaux, plus ou moins arbitraire car les plaignants n'ont pas les moyens d'avoir des avocats prestigieux (et chers). C'est la justice dans laquelle officient Casi et son ami Dane. Justice expéditive (jusqu'à 80 cas par jour). Il est intéressant de faire la comparaison avec la chronique de Dominique Simonnot « Coups de Barre » dans le Canard Enchainé, ou plus avant « Palais Indiscret » de Jean Paul Lacroix, ou encore Christian Hennion et sa « Chroniques des Flagrants délits » dans Libération. Dans ce dernier cas ce sont 6000 prévenus en 8 mois et 4000 années de prison ferme. Ces chroniques judiciaires ont été montées en pièce de théatre (« Comparution immédiate ») par Michel Didym et Bruno Ricci. Comme quoi la singularité est parfois plurielle.
Il y a dans le livre des passages assez féroces pour le système judiciaire. « The police were not merely interested observers who occasionally witnessed criminality and were then basically compelled to make an arrest, rather than police had the special ability to in effect create Crime by making an arrest almost whenever they wished, so widespread was the wrongdoing. » (Les policiers ne sont pas simplement des observateurs intéressés qui sont occasionnellement témoins de la criminalité et sont ensuite essentiellement obligés de procéder à une interpellation, plutôt que la police avait la capacité spécifique de créer la criminalité en faisant une arrestation presque chaque fois qu'ils le souhaitaient, tant l'incivilité était répandue).


«Personae» (The University of Chicago Press, 216 p.) est un (petit) livre de 201 pages de texte, divisé en 10 chapitres, qui commence par un meurtre et donc une enquête policière. Quoi de plus normal pour un roman. Là où cela se complique, c'est que ces chapitres comportent en fait 3 histoires séparées (The Ocean, Personae, Energias). Entre on a droit à deux extraits des carnets de la détective sur JS Bach, Glenn Gould et le silence anti-conspirateur (« aconspiratorial silence » est-il écrit). En plus, il y a deux oraisons funèbres, une histoire sur comment nager hors de la mer et le récit d'une mission suicide dans la jungle. le résultat est que le lecteur sort du livre un peu comme après un cycle complet de machine à laver (propre sur soi, mais un peu fripé). Après étendage et séchage, le résultat est assez surprenant, et l'on en reprendrait bien un tour (un peu comme sur la chenille dans les foires, et maintenant à l'envers).
Reprenons donc. Un colombien Antonio Acre, âgé de 111 ans, est découvert mort dans son appartement. La détective, Helen Tame intervient. Sa formation criminelle est impressionnante. Débutant le piano à 5 ans, elle a une brillante carrière internationale de pianiste jusqu'à 20 ans, puis elle écrit dans « The American Journal of Musical Theory ». Elle a de plus la particularité de se rendre invisible là où elle est, ce qui facilite ses investigations sur les scènes de crime. Dans l'appartement du mort, elle a vite fait de conclure à un crime. Elle récupère donc des pièces à conviction : un rouleau de papier toilette brun annoté, un magazine « TV Guide », également annoté en marge, et une rame de papier écrit de la main de Acre. A noter que ces deux dernières pièces contiennent des histoires, et non seulement des écritures. Par contre le rouleau est devenu un palimpseste de mots qui se sont agglomérés les uns aux autres.
On remixe le tout et on édite. La partie centrale (83 pages) du livre devient alors une pièce de théatre en deux actes entre 7 personnages, d'après les notes trouvées. Avec un Adam (premier personne plurielle) et un Not-Adam (dernière personne singulière). Tout cela est fort limpide.
Les notes musicales de Tame donnent le ton. On retrouve les thèmes des Variations Goldberg, avec une aria introductive, des variations, et une aria terminale. Voila qui clarifie la lecture (je n'ai pas dit simplifie).
En fait, on retrouve dans « Personae » les thèmes chers à Sergio de la Pava. le sens de la pureté, la défense exemplaire pour tous, le crime parfait.



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