AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Dandine


Je voyage dans le temps, sautant d'une generation a l'autre. Apres la Babitchka de Bozena Nemkova, je plonge dans un autre grand classique de la litterature tcheque. Et c'est tres different. Une ecriture tres moderne, petrie d'humour et d'une ironie bienveillante. N'ayant pas lu d'autres tcheques de sa generation, je le vois comme l'initiateur (et s'il n'est pas le seul on me corrigera) d'une veine qui caracterise cette litterature, celle de Hasek, Capek, Vancura, Hrabal.

Ces contes profilent des personnages croises par l'auteur pendant son enfance a Mala Strana, le quartier pragois ou il a toujours vecu, et il y ajoute quelques nouvelles ou il est directement implique. Et c'est le quartier qui devient le personnage principal, ses rues etroites, ses maisons ou s'agglutinent locataires et sous-locataires, ses tavernes populaires et son mythique restaurant ou se pavanent les notables du quartier, “les dieux authentiques de Mala Strana”. Un quartier ou se pressent de petites gens dont certains se prennent pour des bourgeois mais n'arrivent pas a finir le mois. Tous revent. Tous font des plans mais finissent par accepter ce qu'ils rejetaient au debut. Il faut bien vivre. Et tous sont retraces avec ironie, mais une ironie non acerbe, bienveillante. Meme les medisants ou les envieux qui arrivent a empoisonner, des fois a detruire, la vie d'autres. On remarque l'empathie, l'affection qu'il ressent pour ceux qui ont peuple son enfance et en un meme temps on note sa complainte sur le retard social et culturel dans lequel ils sont immerges, sur leur inaptitude a accepter une quelconque nouveaute (par exemple dans la nouvelle “Comment monsieur Vorel brula sa pipe"). Cette faune humaine est decrite par un des leurs, un temoin direct, car Neruda a longtemps habite “la maison des deux soleils", qui est peut-etre celle representee dans la premiere nouvelle, sise en l'ancienne rue Ostruhova (rue de l'eperon), aujourd'hui rebaptisee en son honneur Nerudova. Ne sachant si on en a fait un petit musee litteraire, j'invite donc, ceux qui pensent aller a Prague, a marauder dans le quartier entre une visite du chateau et une escapade dans les jardins du mont Petrin, afin de me renseigner. Neruda le meriterait. Dans ses histoires indiscretes sur des personnages qu'il arrive a nous rendre proches, sur la durete et les petites joies de leur existence, coule la vie. Ce sont des histoires de quartier, mais ce quartier reflete le monde, ailleurs et partout. C'est un tableau d'epoque, et en fait une replique intemporelle du caractere intrinseque de l'etre humain.

Quelques mots encore sur son ecriture, que j'ai trouvee tres moderne. Il y a un peu de peinture de moeurs a la Zola, avec une grande capacite d'observation et de detail, mais il ne s'alourdit pas sur la psychologie des personnages, qu'on comprend a travers leurs actes et leurs paroles. Il n'a besoin de rien expliquer. Et la premiere partie du premier conte, “Une semaine dans une maison tranquille”, ou il decrit la maison, ses entrees, ses couloirs, ses appartements et leur mobilier, m'a rappele du Perec. D'autres avaient un gout de Tchekhov. Dans tous les contesNeruda brosse sa prose d'une main sure, alternant des passages d'une beaute exquise, comme dans “La messe de Saint Wenceslas", avec d'autres ou les dialogues eclosent spontanes et frais, comme dans “Conversation nocturne". Certains contes sont des souvenirs de ses peripeties personnelles quand il avait dans les 9 ou 10 ans, mais il se met en scene aussi en tant qu'auteur, comme dans “Ecrit a la toussaint": “Si j'etais un nouvelliste ingenu, j'aurais probablement ecrit: Vous me demandez de qui sont ces tombes? Mais je sais qu'un lecteur ne demande jamais rien. L'auteur doit imposer directement au lecteur son oeuvre. Mais cela s'avere cependant quelque peu difficile.”

De quelque cote que je le retourne, ce livre m'a charme, m'a interpelle. Un grand classique. Intemporel. Ce n'est pas un hasard si, apres l'avoir lu, un jeune chilien du XXe siecle, un certain Ricardo Neftali Reyes, changea son nom pour le nom de plume Pablo Neruda.

P.S. Je rale un peu. J'ai lu ce livre dans sa traduction espagnole (tres reussie, il me faut le dire) et c'est, apres l'ecriture de ce billet, en passant par les comptes-rendus d'autres babeliotes que j'apprends que l'edition francaise est magnifiquement illustree de dessins et de photos. On ne peut tout avoir. Mais on peut raler.
Commenter  J’apprécie          5916



Ont apprécié cette critique (59)voir plus




{* *}