Citations sur Les ébouriffés (30)
Sous Pompidou, on révolutionnait l'habitat avec virilité : on faisait des gros pâtés, des tours phalliques, des barres, des blocs, des forteresses tristes, isolées les unes des autres, entourées d'arbres, qui dissimulaient à peine la méchanceté de la réalisation. Bientôt ces bâtiments autonomes construits à l'écart du centre devinrent des lieux livrés à l'ennui de ceux qui n'espèrent rien.
A Saint-Paul, au timbre de la première sonnerie, les retardataires voyaient se clôturer la grille ; la vitesse d'exécution de la manœuvre dépendait de la vie amoureuse du pion. A pion frustré : grille claquée ; à pion comblé : grille compréhensible et patiente.
Le Frère qui enseignait le français était un jeune homme tendu qui ne souriait jamais. Il flanquait des claques pour faire entrer les règles de l'orthographe. Les élèves rédigeaient les dictées la trouille au ventre à la perspective de la séance des gifles au corrigé des copies. Les accents oubliés ou mal tournés n'étaient pas des fautes à claques ; pour cette raison François ne se privait pas d'en faire. Toujours ça de pris sur l'adversité, pensait-il.
Pour donner une idée du climat qui régnait ces année-là, l'admission dans les rangs d'un élève de parents divorcés soulevait question. A la récré, les écoliers considéraient le petit divorcé comme un enfant amputé d'un parent. Pour eux tous, un père et une mère leur semblaient aussi naturels que d'avoir des bras et des jambes. Il revenait à l'invalide le soin de rassurer sur sa normalité s'il voulait être accepté dans les jeux.
Devant la bibliothèque de son salon de réception, je lui parlais d'un livre d'André Gide, La Symphonie pastorale, lu quand j'étais adolescent, un récit dont je me rappelle des passages entiers, sais-tu, Jacques, ce qu'elle m'a répondu avec une petite moue de tête à gifles ?
Les écrivains sont des vicieux ; les artistes ont des mœurs déréglées ; les intellectuels se noient dans un verre d'eau ; les politiciens mentent, seule la famille compte.
Eh bien, nous parlâmes de nos saintes familles !
Quelques jours avant Pâques, François, chaperonné par sa mère, rencontra, innocemment, rue Glais-Bizoin, derrière la vitre de la pâtisserie, debout, dans un coin de la devanture, un enfant en chocolat noir, haut d'un mètre, qui semblait le regarder en clignant de l'œil vers lui.
Aux pieds dodus de la figurine pur cacao, la vitrine présentait des copies miniatures du modèle, elles aussi, toutes en chocolat noir, excepté le pagne, qui ceignait les reins, qui, lui, était en chocolat blanc. Les cheveux des personnages étaient délicieusement crépus et leur ventre, généreusement rebondi. Sur une étiquette était écrit, avec le prix : négrillons en chocolat.
Leur but, aux capitalistes américains, disaient les curés, était de faire de vos enfants des crétins juste capables d'acheter leur bimbeloterie. Ils tentaient, affirmaient-ils, de les coloniser avec leur sous-culture idiote. A titre d'exemples d'andouilles made in France, les curés citaient : Sheila, Dick Rivers, Eddy Mitchell, Johnny Hallyday. Pour être abréviatif : les vedettes du journal Salut les Copains, que le père d'Hervé, homme d'esprit, contre-pétait en " Ça Pue Les Colins"
Les descentes à vélo vers les plages des Rosaires, de Binic, de Pléneuf, offraient des sensations de vitesse, relevées par la tonicité du vent marin ; en revanche, les lentes et laborieuses remontées, en danseuse, rappelaient au dit cycliste les préceptes de la Bible concernant ce qu'il faut gagner à la sueur du front, des cuisses et des mollets.
Selon Hervé, le matin, Mme Boisjouan ouvrait ses volets, vêtue d'une simple nuisette. C'était une dame qui lui donnait envie de grandir.
Le ressentiment de M.Perdriaux contre Paris remontait à la guérilla chouan de Cadoudal en 1795, à la brutale politique de Combes en 1905 avec l'interdiction de donner un prénom breton à ses enfants.