Rien n'exorcisait mieux la douleur qu'une terreur profonde : il fallait avoir peur pour faire taire le corps. Avoir peur une fois pour toutes, en sortes que tous les maux à venir passeraient pour dérisoires. Mourir de peur, ou presque, car qui frôlait la mort ne pouvait plus rien craindre par la suite.
Mais contrairement à la nuit ordinaire, dont l'aube vient à bout, celle de Françoise ne prenait jamais fin, et sa terreur, au lieu de ne durer qu'une dizaine d'heures s'éternisait. Si les autres enfants s'éveillaient dans la lumière du jour, Françoise baignait pour sa part dans des ténèbres perpétuelles. Sa réalité se réduisait à ce Néant monochrome dans lequel se perdait parfois un bruit, une voix.
Il passait une moitié de sa vie sur l'eau et l'autre dans l'alcool. Son existence était purement liquide, sans forme ni contour.
Cette nostalgie heureuse était absolue en ceci qu'elle renversait le cours du temps. La mémoire de Françoise écrasait le quotidien, l'imaginaire piétinait le réel. Angoisse et tristesse étaient endiguées. Restaient ces instants ressuscités, riche de grâce et de paix. Pas de plus douce contrée que la nostalgie. Celui qui s'y installait n'en revenait pas; il y coulait sa vie et y mourait. L'air de ce pays transportait les parfums d'antan, arômes d'enfance et fragrances de jeunesse. On le respirait à s'en saouler sans se méfier, oubliant que l'ivresse charmait d'abord pour mieux nuire ensuite.
Les fantômes étaient jumeaux de l’humanité. Sous toutes les latitudes et à toutes les époques, on en avait rencontré. Chaque génération de vivants avait apporté sa pierre à l’édifice et, bien que la superstition s’essoufflât, les revenants prospéraient.
Serge avait accueilli la nouvelle avec indifférence. Un enfant ne changerait pas grand-chose à son quotidien. Il passait une moitié de sa vie sur l’eau et l’autre dans l’alcool. Son existence était purement liquide, sans forme ni contour. Ce n’était pas un gosse qui le sortirait de ce flou. En outre, il était certain que l’enfant n’était pas de lui.