Citations sur Une femme (66)
La beauté change vite. La vraie jeunesse, celle où le corps, plein de sève toute neuve, se rassemble dans sa svelte fierté et semble à la fois craindre et appeler l'amour, ce moment-là ne dure guère que quelques mois.
Brillants, luxurieux, trempés, parfumés, ils dorment maintenant. Engloutis l'un dans l'autre, absents au monde.
Enfant, tu es une enfant (...) tu as voulu sculpter. C'est long, c'est dur. Cela n'intéresse personne. Qui aurait besoin de tes sculptures ? On se moque bien de ce que tu fais ou pas, et si tu arrêtais, cela ne les réjouirait même pas. Ils resteraient indifférents. C'est à toi de créer chaque matin ton désir, ton besoin, ta propre justification, si tu veux.
Tu as vu le "Victor Hugo", ça les met à feu et à sang parce que je veux le représenter nu. Pour moi, on ne revêt pas un dieu d'une redingote !
Rodin a possédé des femmes d'une bêtise sans remède, femmes du monde ou modèles (...) Malgré la splendeur de leur chair, leurs ébats ne lui avaient laissé qu'un goût fade, triste. L'intelligence, les caresses avaient besoin du regard, l'amour charnel, là-aussi, l'avait surpris ; lui aussi demandait une recherche, une exigence, une lueur de spiritualité.
Il l'envie par moments de cette jeunesse, de cette inconscience aussi, de cette force. Il a peur qu'elle le juge, qu'elle ne l'admire plus un jour, qu'elle ne pose plus sur lui ce regard émerveillé d'enfant qu'elle a en ce moment. Cette totale confiance de tout son être. Il la regarde car elle lui donne jusqu'à son âme même en cet instant.
Le sculpteur donne des recommandations précises, rapides. Camille l'écoute un peu en retrait.
cet homme à l'air gauche, mal assuré, devient sobre et rapide dès qu'il parle sculpture. Il semble grandi. Une autorité, une énergie insoupçonnées. les mains montrent, caressent, reprennent la terre mouillée.
Soudain, il attrape le crayon et dessine un détail sur un bout de papier. Camille ne détache plus ses yeux des mains du sculpteur.
Le buste "puissant"... Jamais elle n'a entendu de pareils conseils. Rien n'est laissé au hasard. Un formidable praticien. Elle a devant elle un admirable artisan, qui reprend, affirme, complète la matière. C'est de la vie qu'il manie. Il la voit partout et la restitue avec passion, avec force.
Les larmes coulent, silencieuses. Pour la première fois depuis des mois, devant l'oeuvre du sculpteur, elle pleure. Elle sait qu'il a tout compris ce jour-là, tout saisi dans un regard. A quoi bon lutter contre la scultpure? Pourquoi réclamer de vivre avec lui? Ils se disent tout dans la pierre même, c'est là leur vrai royaume, leur couche nuptiale, le long désir entre elle et lui qui ne cesse de se prolonger, de renaître, l'absence aussi...aussi forte que la possession. Elle n'aura jamais d'époux, de maison, d'enfants à elle. Juste une pierre, la pierre de leur continuelle impossibilité à être heureux ensemble.
Camille déteste ces femmes qui ne disent jamais ce qui leur fait ou non plaisir. Éternelles victimes, elles se sacrifient à tout jamais. Ayant refréné leur joie , elles ne peuvent plus que subir. Elles ont dressé un tel barrage devant le plaisir que même un plat, une fleur, ne provoque plus chez elles le moindre acquiescement . Toute existence est une forme de croix. Camille, du fond du coeur, remercie Monsieur Rodin de lui avoir communiqué le goût du plaisir. De toute façon, elle l'aurait trouvé. Toute petite, elle s'était juré de chercher toujours plus loin. Il y a un certain égoïsme qui est une forme de santé.
Paul se balance. Il l'énerve, ce garçon fermé qui la surveille de ses deux yeux bleus stupides.