Au fond d'elle-même, elle savait bien que cette révolte n'avait rien d'une révolution. Ce n'était que le soubresaut d'un peuple qui en avait assez quon lui mange la laine sur le dos et que ce soient toujours les mêmes qui se servent en premier, abandonnant tout juste à la plèbe de quoi ne pas mourir de faim. Elle avait connu l'Empire et les fazendeiros. Avec la République, rien ou presque n'avait changé. Les insurgés avaient beau piller les magasins, brûler les tramways, détruire les lampadaires Art nouveau qui venaient d'être scellés, cela ne modifierait en rien le cours de l'Histoire. Les loyers devenus exorbitants, l'inflation sauvage, le coût de la vie qui ne cessait d'augmenter, la violence, l'insécurité galopante, les scandales financiers qui éclataient parfois, les élections truquées, les crimes politiques qui demeuraient impunis, les immigrants que l'on ne voulait pas ou que l'on ne savait pas loger, mais dont on acceptait sans sourciller les bras pour des travaux payés une misère, tout cela existait depuis que le monde était monde, Empire ou République, République ou Empire, et tout cela ne changerait jamais. Le capitalisme ne faisait qu'accélérer les choses.
Dans un paysage d'Apocalypse, une seule maison se dressait encore au milieu des gravats, solitaire, insolente, semblant fichée comme un couteau de pierre dans la plaine retrouvée.
Les pauvres, ça intéresse personne. Surtout quand ils viennent d'ailleurs. Quand on connait pas les gens, on peut pas avoir de la peine pour eux.
Qu'est-ce que ça veut dire : bizarre? Bizarre, c'est un mot qui veut tout et rien dire à la fois, ma fille. Sois plus précise. Si on a inventé autant de mots, c'est bien pour qu'on les utilise, non? Alors, réfléchis un peu à ceux qui conviennent, à ceux qui sont faits pour. Et redis-moi ce que tu sens.
T'as raison de te poser la question, ma soeur. Ceux qui se posent pas assez de questions, ils passent à côté de leur vie.
Si on peut pas échapper à son destin, on est quand même capable de décider quand les choses doivent arriver.
Les miséreux, dont la présence ne pouvait décemment être supportée dans les rues flambant neuves, prirent ainsi d'assaut les mornes et purent se permettre, maigre consolation, de regarder Rio de Janeiro d'en haut, jouissant de la plus belle vue du monde.
[...] ces indicateurs le fascinaient. Ils n'hésitaient devant aucune manigance pour ramasser quelques sous, changeaient de convictions avec la même soudaineté que le vent pouvait modifier sa direction, ne s'embarrassaient d'aucun scrupule et se révélaient capables de vendre père et mère pour être, ne serait-ce que l'espace d'un instant, de la grande famille de la justice ou de celle de la pègre.
Rio de Janeiro est malade. Malade de son passé, malade de son immobilisme chronique, malade de l'anarchie qu'elle a laissé se répandre dans ses rues.
Si le matin était réservé à Dieu et à ses soldats en robe, le dimanche était le jour du peuple, celui de la flemme, du jeu, du plaisir, du vertige, des mauvais garçons et des filles des rues.