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Jean-Paul Delfino (Autre)
EAN : 9782350877556
368 pages
Editions Héloïse d'Ormesson (18/02/2021)
3.84/5   44 notes
Résumé :
Le Piéton de Paris

Marié, deux enfants, Théophraste Sentiero est un homme sans histoires. Aussi prête-t-il peu d'attention à ces tremblements inopinés qui agitent ses jambes et ses pieds en ce soir de Noël. Hélas, ces trépidations s'accentuent et la médecine n'y entend rien. C'est un vieux libraire cacochyme et presque aveugle qui va le tirer d'affaire en lui proposant un remède pour le moins surprenant : écouter ses pieds puisqu'ils sont si pressés d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (35) Voir plus Ajouter une critique
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L'homme qui marche n'est pas l'Emmanuel devenu Président de la République … mais Théophraste Sentiero qui illustre qu'il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi ;-)

Conteur des petits miracles, Jean-Paul Delfino, publie un magnifique roman initiatique en décrivant l'évolution de Théo, employé municipal préposé à la récupération des bicyclettes et des trottinettes noyées en Seine. Pilier de bar, abonné au « Gay Lu » près du Panthéon, Théo vit une existence morne, coincé entre sa belle mère, son épouse et leurs deux adolescents.

Le jour de Noël 2014, les pieds de Théo se mettent en branle et il commence à folâtrer de la librairie lusophone Chandeigne à la mythique librairie Delamain, promenant le lecteur de la montagne Sainte Geneviève au jardin du Luxembourg, en passant par l'ile Saint Louis.

Les semaines passent, les rencontres truculentes également et Anselme Guilledoux, bouquiniste installé à l'ombre de Saint Nicolas, embauche Théophraste pour vider sa boutique avant de baisser le rideau. du dialogue entre notre pilier de bar totalement étranger à la lecture et un libraire quasi aveugle, association d'une tête et de deux jambes, naissent une série de petits miracles dont se délectent le parisien et le lecteur.

Talentueux jongleur de mots, Jean-Paul Delfino nous enchante au fil de pages qui sont un régal pour les amoureux de Paris et de ses bouquinistes et sont un bel hommage à une corporation jugée non essentielle par les technocrates et politiques rendus fous par le COVID.

Un scénario simple, une palette de personnages, parfois caricaturaux ou consternants, laissent la voie libre à Théo et Anselme pour nous offrir un feu d'artifice littéraire et des pages superbement ciselées. Anselme en transmettant une partie de sa curiosité, de sa culture et de son expérience à Théo le fait grandir et lui ouvre la voie du bonheur et de sa liberté.

Merci à Heloise d'Ormesson et Babelio de m'avoir adressé ce titre qui me révèle un auteur que je n'avais pas encore croisé.
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Dominé par son épouse, ignoré par ses enfants, méprisé par sa belle-famille, effrayé par sa concierge, Théophraste Sentiero est un petit employé municipal du service du nettoiement de Paris.
Son seul plaisir ? Aller boire un café avec les habitués du Gay-Lu, un bistrot tenu par Mme Jouve, qui sera hélas bientôt vendu...
Tout se dérègle quand les pieds de Théo se donnent une vie autonome, que seule la marche peut arrêter. Il croise alors une inconnue sur le Pont-Neuf, dont il tombe immédiatement amoureux, puis rencontre un vieux libraire presque aveugle qui l'embauche. Sa petite vie bien réglée bascule alors...

Jean-Paul Delfino livre ici un roman très différent des deux que j'ai lus précédemment. Finis les nuits romancées de Blaise Cendras et Eric Satie (Les pêcheurs d'étoiles) ou les derniers jours d'Émile Zola (Assassins !). Dans L'Homme qui marche, il met en scène un obscur, un sans grade, un sans ambition, mais il le conduit jusqu'à la réalisation de lui-même. le second personnage principal, Anselme Guilledoux, vieux libraire quasi aveugle, y est excellent dans le rôle du vieux sage, de l'éveilleur de conscience, bien secondé il est vrai par quelques autres...
On l'a compris, derrières les mésaventures de Théo et ces personnages très caricaturés (cela commence par le choix des noms !), se cache une réflexion sur la quête du sens de la vie. Encore une différence avec les deux précédents romans...
On retrouve ici l'écriture précise et ciselée de l'auteur ; il y ajoute une richesse de vocabulaire qui fait partie intégrante de la narration, et une forme de truculence du discours, sans doute plus proche de Giono que de Pagnol, mais où l'on sent bien les racines provençales. Enfin, même si L'Homme qui marche se situe plus dans le temps long (on y compte en semaines et en mois, pas seulement en heures et en jours comme dans Les pêcheurs d'étoiles ou Assassins !), on y retrouve une sorte d'éloge de la lenteur : prenons le temps du détail et de la description ; donnons du temps au temps pour faire murir la réflexion avant de passer à l'action...
Le résultat est un roman surprenant, que l'on prend beaucoup de plaisir à lire.
Lien : http://michelgiraud.fr/2021/..
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L'arpenteur des rues de Paris

Avec l'humour qu'on lui connaît, Jean-Paul Delfino nous raconte comment une curieuse maladie a sauvé la vie de Théophraste Sentiero. Une envie furieuse de marcher qui va lui offrir de belles rencontres.

Quand commence cette histoire, on se dit que Théophraste Sentiero n'a pas eu de chance. Né un 25 décembre, il a certes droit à ses cadeaux de Noël, mais ce sont aussi ses cadeaux d'anniversaire. Tout au long des années, il s'est habitué à cette injustice et c'est presque apaisé qu'il préside le repas de réveillon entouré de sa femme Cécile, de ses enfants Bénédicte, 14 ans, et Joël, 12 ans, de son beau-frère Robert, accompagné de son épouse Ginette et de Léonide, la mère de Cécile et Robert. Loin de la fête de famille, c'est bien plutôt une épreuve pour lui, entre les récriminations incessantes de sa belle-soeur, les jérémiades des enfants et la préciosité de son épouse, il déprime. C'est alors que ses jambes se mettent à bouger. «Il ressentait alors dans ses membres inférieurs une irrépressible envie de bouger, de s'agiter. Sa chair fourmillait, picotait, démangeait tout à la fois. Par moments, il ressentait de véritables décharges électriques qui, selon leur intensité et leur durée, pouvaient le faire sourire ou grimacer. En journée, il lui suffisait de marcher pour dompter ce trouble.»

Aussi, au petit matin, il prend ses jambes à son cou et, s'il ne peut éviter la concierge, elle aussi spécialiste es-jérémiades, il échappe aux reproches de Cécile.
Son havre de paix s'appelle le Gay-Lu, le bistrot tenu par Mme Jouve, une parigote née en Alsace, où il retrouve la clientèle du matin, «celle des fidèles, des amis, des piliers. Outre La Guigne et Petit Pois, Cothurne et Gégène étaient là, eux aussi.» Ajoutons-y un chauffeur Uber antisémite et raciste et Gisèle, une ancienne prostituée, et le tableau sera complet.
Mais ce matin le moral de la troupe est bien bas, car la patronne a décidé de passer la main et de quitter Paris. «Le jour fatidique de la fermeture du rideau n'avait pas encore été arrêté. Mais il viendrait. En attendant, ils ruminaient leur malheur en solitaire. Ils préféraient désapprouver en silence plutôt que de rajouter du mal au mal.» Théo imagine alors qu'il pourrait empêcher la fermeture de son bistro préféré, qu'il pourrait donner sa démission et arrêter de repêcher les vélos et autres débris dans la Seine et même qu'il pourrait retrouver la femme qu'il a croisé sur le pont Neuf, «une inconnue qui avait mis le feu à son âme, à sa petite vie étriquée».
Mais trois semaines plus tard, il n'a guère avancé dans ses projets. En revanche, il a fait la connaissance d'un aveugle au jardin du Luxembourg, un homme qui lui assure que leurs chemins allaient à nouveau se croiser. Et effectivement, un jour de pluie Théo va pousser la porte de la librairie tenue par son interlocuteur. Anselme Guilledoux, le bouquiniste-philosophe va changer sa vie. le vieil homme va fermer sa boutique, Aux bonheurs d'Antioche et a besoin «d'un homme solide, un gaillard qui ne compte pas sa sueur et qui ne craint pas de se salir les mains» pour l'aider à transporter ses livres et à assurer les livraisons dans toute la capitale. Ce faisant, il ne va pas seulement offrir un emploi à Théo, mais l'encourager à faire quelque chose de sa non-vie.
En suivant les pérégrinations de son personnage dans la capitale, Jean-Paul Delfino nous offre tout à la fois un éloge de la marche à pied, une évocation nostalgique d'un Paris en train de disparaître, celui des brèves de comptoir et des amitiés avinées, un conte aussi cruel que lucide sur la vie de couple agrémentée de la présence d'une belle-mère et surtout un encouragement à suivre ses rêves. Et grâce à son style enlevé, à sa langue truculente, on se laisse emporter. Magique !
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« L'homme qui marche », ça n'a pas marché pour moi.
Malgré un vocabulaire riche et un style recherché, je me suis ennuyée et j'ai été même exaspérée à certains moments.

Pourquoi ?
1) Les personnages principaux ne sont pas du tout fouillés, ils sont cantonnés à leurs problèmes ou à un trait de caractère, comme une caricature.
2) Les touristes aussi sont caricaturés à l'extrême. Or, tout le monde est touriste dès qu'il sort de son pays, non ? Ca me rappelle qu'un jour que nous étions attablés sur une jolie petite placette en Provence, le patron du bar nous avait servis en marmonnant « Vivement l'automne qu'on soit débarrassés des touristes »…
3) Paris, cette ville que j'aime et que j'ai découverte en tant que touriste (euh, oui, je me considère comme une touriste, désolée, Mr Delfino, de polluer Paris par ma présence), n'est décrite que par le nom des rues traversées par le héros. Descriptions quasi inexistantes, donc l'ambiance est absente.
4) Les problèmes abordés sont soit survolés, soit assénés à la manière « donneur de leçons ».
Le héros n'aime plus sa femme, eh bien tant pis. Celle-ci est acariâtre et a tous les défauts.
Qu'il recherche plutôt un sens à sa vie ! Et patati et patata.
« Une fable », ai-je lu dans d'autres critiques, oui, pour son côté moralisateur.

Un petit mot de l'histoire quand même : un jour, un homme d'une petite quarantaine d'années ressent les symptômes d'une maladie étrange, ses pieds « bougent tout seuls ». Une seule solution : il ne lui reste plus qu'à marcher. Ce sera l'occasion d'aller à la rencontre de quelques personnes bien pittoresques qui se chargeront de lui donner des conseils de vie.

« Tous les romans ne sont pas faits pour tout le monde et ils s'apprécient différemment selon la période de votre existence que vous traversez ! Mais il suffit d'un seul ! Un seul roman qui dit le monde tel que vous, vous auriez aimé le dire, et c'est alors l'extase. C'est le petit Jésus en culottes de velours… »
Eh bien non, ce petit Jésus en culottes de velours, ce ne sera pas « L'homme qui marche », pour moi.
Il m'a assez cassé les pieds.

Attention ! Je ne veux en aucun cas décourager les futurs lecteurs, parce que les autres critiques sur ce site sont tout à fait élogieuses !
Je remercie les éditions Héloïse d'Ormesson du risque qu'elles ont pris en m'envoyant ce roman par l'intermédiaire d'une Masse Critique privilégiée.
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C'est ainsi que pensa Théophraste Sentiero. La marche du corps est contrariée et voici que le paysage s'offre à moi d'une étrange façon ; si ma vue défaille en cette invalidité prégnante ou passagère, que sais-je, voilà qu'une réalité nouvelle m'a dessillée les yeux. Se peut-il alors que le tout donné m'apparaisse autrement, et l'amour sous une autre transparence. Un petit retour en arrière, un grand pas en avant, je suis diminué par un tremblement ; ce fourmillement des jambes tandis que, augmenté d'une vitalité nouvelle quand mes pas me portent au-delà de mon antre. le clairon de ce réveil me tient au garde-à-vous, tantôt jeune, tantôt vieux, je suis frêle et bientôt amoureux ou empêtré dans la solitude de mon être, dans ma tête seul à penser. Idiot transi, empêché devant la surenchère, d'une rencontre, cette femme comme une comète. le destin Théophraste dit le prêtre, même si tout est écrit, il n'en faut pas moins marcher pour l'édifier. J'entends bien dis-je, parcourant la capitale, si j'ai mal c'est que je suis encore vivant. Que je suis celui-là, timide et n'osant guère, peu ambitieux mais travailleur, en tout cas pas cet autre, mon beauf bouffi d'orgueil. Rien de tel qu'un hall de gare, de Lyon, pour me bousculer les idées ; conchier le réel en renonçant aux prix prohibitifs d'une surconsommation en tout pour un si peu d'amour. Langage fleuri de Paris au carrefour des destinées. Et Cécile dans tout ça… Après mon escapade buissonnière, quand il est temps de rentrer, je fais encore un détour vers le kiosquier, le mutique, le taiseux, avant d'affronter le questionnement de ma femme, le pourquoi du comment de mon absence au repas de midi, de ma descente du train-train familial. Démissionnaire en mon élan amoureux, mais franchement rudoyé par mon ami Anselme, libraire de son état, je quittai les Bonheurs d'Antioche avec sous le bras mon remède, Les Souffrances du jeune Werther, chef-d'oeuvre de Goethe.

Et reprenant la citation de l'auteur :

― « Il n'y a rien d'allègre : il y a seulement une vigueur pleine et ferme. Je dure bien à la peine ; mais j'y dure si je m'y porte moi-même, et autant que mon désir m'y conduit ». (Essais, livre II, Montaigne).

Voilà un très beau livre, un texte passionnant évoquant la destinée et qui monte en puissance avec l'écriture d'un auteur érudit. Je remercie Babelio et les Editions Héloïse d'Ormesson pour ce bel ouvrage que j'ai bien apprécié.

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Citations et extraits (47) Voir plus Ajouter une citation
Mais je vais vous expliquer ce qu'est un cénobite, petit aliboron infatué. C'est un moine qui s'est retiré du monde. Un peu comme moi, à la différence près que je ne place pas tous mes espoirs de salut dans un dieu, mais bien dans le Verbe et ses secrets inépuisables. »

D'une voix plus feutrée, Anselme Guilledoux raconta alors non pas toute son existence — car celle-ci avait été tumultueuse et se perdait dans des tours et des détours infinis -, mais bien les raisons pour lesquelles, un jour, il avait décidé d'ouvrir les Bonheurs d'Antioche.

« Je l'ai fait, expliqua-t-il, pour vivre avec les mots. Les mots, et non les histoires. Qu'importe que cela vous semble bizarre, pour ne pas dire douteux. Tel fut mon choix, et je le fis en pleine conscience.

- Les histoires ne vous intéressent pas ?

- Après une existence passée à les parcourir, je peux affirmer quelles se ressemblent toutes. Prenez Roméo et Juliette de Shakespeare d'un côté, Titanic de l'autre. Les histoires sont identiques. À quelques détails et un naufrage près, je vous l'accorde. Mais ce sont les mêmes ressorts, et personne de sensé ne devrait se lancer dans l'écriture d'un roman sans être conscient de cela : toutes les histoires ont déjà été racontées. Elles n’ont donc qu'un intérêt mineur et se résument le plus souvent à des prétextes. Les mots, en revanche... »

Comme Théo s asseyait sur un carton pour l'écouter, le vieux libraire, en alchimiste s’apprêtant à révéler le secret de la pierre philosophale, confia: « Les mots, mon jeune ami, c'est là que réside le pouvoir véritable. D'ailleurs, Dieu lui-même ne s'y est pas trompé. La première phrase de la Bible dit, en effet, ceci : "Au commencement était le Verbe." Est-ce que vous percevez bien tout le poids de cette assertion ? "Au commencement était le Verbe..."
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Théo avait fini par s'habituer à ces coups de grisou qui frappaient sans prévenir dans le silence et faisaient trembler jusqu'aux poutres noircies au brou de noix des plafonds. Ainsi, ce jour où, bien malgré lui, il avait ânonné le dernier mot d'un titre d'ouvrage traitant de religion et de spiritualité. Sous les tâches de moisissure noires et violettes, il avait déchiffré de son mieux: « Vie de saint Antoine le Grand, patri.. . patria...

-Patriarche.

- C'est ça : Vie de saint Antoine le Grand, patriarche des céno... des cénobites ? »

Le rire, à son corps défendant, était monté dans sa gorge, et le libraire, subitement ulcéré, s'était exclamé: « Qu'est-ce qui vous prend ? Pourquoi riez-vous ?

Je ne ris pas !

~ Si. Je vous ai déjà dit que j'étais aveugle et pas sourd, non ? Alors ? »

Luttant de son mieux contre cette hilarité qui lui saisissait le ventre, Théo articula de son mieux: « C'est vrai que c’est un mot qui n'est pas banal : cénobite. Et son auteur, en plus...

- Quoi, son auteur ?

- II s'appelle Verge ! »

Aussitôt, la main d'un Anselme exaspéré s'abattit sur le plateau du bureau, faisant tanguer sur leur base les tours de Pise qui y étaient disposées. Les lèvres secouées par de petits tics d’indignation, il s'emporta: «Verger, pas Verge ! Triple buse ! Espèce de sybarite de l'ignorance ! Imbécile heureux ! C'est La Vie de saint Antoine le Grand, patriarche des cénobites ! Par l'abbé Verger ! 1890 !

Vous êtes un pornocrate doublé d'un érotomane aux petits pieds, laissez-moi vous le dire! »
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Anselme (...) martela, saisi par une fièvre renouvelée: « Si vous savez trouver les mots, les mots justes, ceux qui savent toucher au cœur, vous séduirez votre inconnue lorsque le moment sera venu de lui parler. Choisissez avec intelligence les bons vocables, traduisez en termes bien sentis toutes les finesses de vos sentiments, et vous verrez. Votre inconnue ne vous considérera plus comme un prétendant semblable à tous les autres, à tous ceux qui vous ont précédé. Pour elle, et par l'unique magie de vos mots, vous deviendrez une possibilité d'amour, une porte d'entrée conduisant vers une grande histoire.

⁃ Vous croyez ?

- Non. J'en suis certain. Car, voyez-vous, mon jeune ami, c’est bien là tout le grand drame de notre siècle. Nous ne savons plus parler. Et, si nous n’en sommes plus capables, c'est parce que nous abandonnons notre langage pour nous contenter de la facilité. En bons moutons de Panurge gros et gras, bêlants et soumis, nous acceptons notre sort et disons oui à tout. Nous parlons en acronymes, en anglais de basse extraction, en phrases toutes faites qui, à force d'avoir été utilisées à tort et à travers, ne signifient plus rien. Ce faisant, hélas, nous ne savons plus parler d'amour.

- Donc, si je parle mieux, vous dites que mon inconnue sera...

- Évidemment! Cela ne fait aucun doute ! ».
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Vous n'approfondissez jamais la chose. Et c'est une erreur. Une erreur que je qualifierais même de funeste.

- Ma foi... Je ne m'en suis pas si mal sorti, jusqu'ici. Pourquoi j'approfondirais ?

- Mais pour être plus fort, que diantre ! Si le dictionnaire dispose de tant de mots, de tant de nuances, c'est parce que c'est dans le détail que se cache le diable. Il s'y niche et s'y repaît avec extase ! Savoir désigner une chose ou exprimer un sentiment, c’est tenir le monde entier entre ses mains. Maîtrisez le langage et vous maîtriserez le monde ! Pataugez dans l'à-peu-près, et vous n'avancerez pas d'un pouce. Regardez votre généraliste ou votre neurologue.

⁃ Quel rapport ?

- Lorsque vous êtes allé les voir, ils vous ont submerge, enseveli sous un jargon dont vous n'avez pas compris la première lettre. Et c’est parce que vous étiez ignorant que vous avez accepté leurs discours sans rechigner ni réclamer. Vous êtes allé les consulter avec la même innocence qu'un veau se rendant à l'abattoir. Il en va de même avec la majorité des politiciens qui, eux, ont saisi depuis longtemps l'impérieuse nécessité de savoir parler afin de mieux mentir. Laissez-vous déposséder des mots et vous ne serez, au final, qu'un ignare à qui l'on pourra faire prendre des vessies pour des lanternes... »
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Dans le silence recueilli qui suivit ses propos, il ajouta, la lippe molle: «On va perdre tout ça. Le petit noir du matin, le blanc du midi, le rouge taquin d'après la sieste et le jaune du soir. Quelle misère... » Madame Jouve, parigote pur jus née en Alsace mais accueillie par la capitale dès le lendemain de sa naissance, promena un regard désolé sur sa maigre clientèle du matin, celle des fidèles, des amis, des piliers. Outre La Guigne et Petit Pois, Cothurne et Gégène étaient là, eux aussi. Installés sous la verrière, les yeux collés aux colonnes de chiffres de Paris Turf, le cœur déjà sautillant à l’idée de toucher le quinté dans l'ordre, au moins une fois dans leur vie. ils avaient la tristesse pudique. L'inéluctable était aux portes. Le billet vert serait le fossoyeur de leurs années de jeunesse. Ils le savaient. Le jour fatidique de la fermeture du rideau n'avait pas encore été arrêté. Mais il viendrait. En attendant, ils ruminaient leur malheur en solitaire. Ils préféraient désapprouver en silence plutôt que de rajouter du mal au mal.
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