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Critique de berni_29


Si vous n'avez pas encore choisi la destination de vos vacances estivales, il est encore temps de vous y préparer et si vous manquez d'idées, je vous suggère une petite escapade en Corée du Nord, à Pyongyang, sa capitale précisément. Ah ! Vous me direz, ça manque un peu d'exotisme... Et je vous répondrai que ça manque aussi de beaucoup d'autres choses là-bas, à commencer par la liberté !
Pour ma part, je me suis laissé entraîner dans ce voyage insolite par les mots et le dessin de Guy Delisle, qui y fit un séjour de deux mois en 2003 à la faveur d'un projet professionnel avec un studio coréen. Auteur de bandes dessinées parfois autobiographiques, cet auteur nomade aime nous plonger dans la réalité des pays dont il s'imprègne, parfois sans sas de décompression.
Dans un humour pince-sans-rire, l'auteur nous décrit ses premiers étonnements dans la rencontre avec la capitale, ainsi que ses habitants, les rues propres, aseptisées, le silence glacial qui y règne. C'est une déambulation à la manière de Candide, dans le meilleur des mondes... On n'échappe pas bien sûr au culte du grand fondateur éternel, Kim Il-sung, et des tonnes de granit dressées un peu partout dans le pays pour célébrer sa mémoire, ainsi que de son fils Kim Jong-il qui prit la relève, bénéficiant de la même popularité auprès de ses sujets, pardon concitoyens, j'oubliais qu'il s'agit d'une république. Depuis lors, Kim Jong-un, mioche pignouf de la descendance, n'est pas venu démentir ce succès familial... Paraît que la frangine qui piaffe d'impatience dans les coulisses est encore pire, d'une cruauté sans égale !
Ici, avec moultes anecdotes et scènes de la vie quotidienne, nous suivons l'auteur accompagné de ses fidèles compagnons locaux, un guide et un traducteur, deux véritables marionnettes lobotomisées, mais peut-on le leur rapprocher ? L'auteur ne ménage pourtant pas sa peine pour gratter le vernis, tenter de discerner la pensée réelle de ce peuple fidèle, idolâtre, muselé, à genoux, osant jusqu'à prêter son livre de chevet, 1984 de George Orwell à son compagnon traducteur, en mal de lecture occidentale.
Nous assistons parfois à des scènes surréalistes comme ces deux serveuses chassant une mouche dans la salle du restaurant du grand hôtel, offrant une scène digne d'un ballet d'opérette.
On pourrait se contenter d'en rire, - et il ne faut pas s'en priver -, s'il n'y avait cette tragédie en filigrane de ce pays le plus fermé au monde : la propagande, la terreur omniprésente, les actes « volontaires », les dénonciations, les disparitions aussi...
Comment expliquer la "docilité" d'un peuple totalement asservi, vidé de consciences individuelles ?
Une scène, en particulier, révèle à elle seule le malaise palpable qui règne dans l'ambiance du pays, lorsque l'auteur s'étonne un jour devant son compagnon traducteur : « Une chose qui frappe quand on se promène depuis des semaines dans les très propres rues de Pyongyang, c'est l'absence totale d'handicapés ». Beaucoup plus étonnant est la réponse à laquelle il a eu droit quand il s'est inquiété de leur sort : « Il n'y en a pas... Nous sommes une nation très homogène et tous les nord-coréens naissent forts, intelligents et en santé ». Et l'auteur de conclure : « Et au ton de sa voix, je crois qu'il le pensait réellement. Jusqu'à quel point peut-on manipuler le cerveau d'un individu ? On risque d'en apprendre un rayon sur le sujet quand le pays s'ouvrira ou s'effondrera ».
Antoine de la Boétie ne disait-il pas : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux » ?
C'est un carnet de voyage sidérant, passionnant, qui nous ouvre les yeux, résonne comme une claque, fait froid dans le dos...
Je remercie Caroline qui m'a suggéré cette lecture, à propos de l'humour des auteurs de bandes dessinées et de leur crayon, parfois comme seules armes pour dénoncer la barbarie humaine dans toute son horreur.
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