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Critique de Malaura


Julien Delmaire est un écrivain et slameur français de plus en plus célèbre sur la scène contemporaine. Ses lectures publiques lui ont valu le titre de poète de l'oralité et en quelques années, il est devenu l'une des figures emblématiques de cet art déclamatoire libre et sans contrainte qu'est le courant poétique slam.

Paru aux éditions L'Agitée, « Ad(e)n » est un bel objet-livre. Les illustrations et la mise-en-page de l'artiste Matthieu Tonneau déversent au coeur des pages le grand souffle de l'Afrique dans des tons bruns, noirs et ocre qui évoquent toute la magie enfouie de ce continent.
Le recueil est un patchwork de courts récits, de textes poétiques, de poésies libres ou versifiées, de théâtre, de codes et de chiffres. Il y est question d'Arthur Rimbaud, de banlieue, d'amours masculines, de drogue, d'Afrique, de création, et tout cela va peu à peu prendre la forme d'une histoire. Dans un futur proche, des scientifiques clonent Arthur Rimbaud à partir de son ADN mais le clone n'écrit pas. Aussi, lui injecte-t-on des drogues pour stimuler sa créativité. Il se met alors à écrire des ribambelles de chiffres et de signes qui forment de magnifiques mais incompréhensibles poèmes. Les souvenirs d'Abyssinie imprègnent sa conscience, le génie créateur est intact mais reste inaccessible. Et les savants, impatients, le poussent jusqu'à l'épuisement…
Le titre du recueil se dévoile alors dans sa double acceptation: Aden, le lieu africain où Arthur Rimbaud séjourna, et ADN, le code génétique nécessaire à la fabrication du clone du poète.

Malgré son indéniable beauté, que tout ceci est compliqué ! Certes, on nous avait prévenus : « un texte poétique expérimental » nous dit le quatrième de couverture…Dès lors, l'on comprend mieux pourquoi, justement, l'on ne comprend pas tout !
Si certains passages poétiques, portés par une rythmique musicale puissante, sont superbes, fallait-il qu'ils se noient dans cette litanie de phrases abstraites à l'allégorie si obscure qu'elle nous reste fréquemment hermétique ?
En voulant montrer l'étendue de son vocabulaire et de son érudition, Julien Delmaire se perd en un verbiage incompréhensible qui phagocyte les belles trouvailles, à l'image du clone d'Arthur Rimbaud alignant dans un spasme ses essaims de signes noirs.
Le flux des mots jaillit dans le tumulte d'une écriture automatique, sans le souci de ce qui s'avère important dans tout langage : la notion de sens et le besoin de compréhension.
Les mots ont un pouvoir à condition qu'on les comprenne. Nul besoin d'aligner des termes pompeux puisés dans le dictionnaire si ce n'est pour créer sens et sentiment.
Sinon, à quoi tout cela sert-il ?

La poésie, c'est de l'émotion brute par laquelle surgissent des images, des pensées, des sentiments qui viennent submerger l'esprit de manière spontanée, fulgurante, aussi soudaine qu'authentique. L'auteur doit emporter le lecteur dans une quête intime. Si celui-ci reste à quai, la mission est ratée.
Il nous semble que les poètes d'autrefois n'avaient pas besoin de toute cette débauche de sons, de mots, d'effets de style, pour nous troubler et nous émouvoir. Ils n'avaient pas besoin d'inclure dans leurs poèmes des symboles mathématiques, des codes et autre langage binaire pour nous tirer des larmes et nous faire vibrer.
On dit que la poésie se meurt, certes c'est bien dommage. Mais certains de ces Messieurs les Poètes ne sont-ils pas finalement responsables de cet état de fait ? A vouloir faire de la poésie un objet sacré, réservé aux seuls initiés, ils nous l'ont rendue hermétique, absconse, presque ésotérique. Ils en ont fait quelque chose qui doit se mériter alors qu'elle ne voulait que se donner librement. Ils en ont fait quelque chose de dur et de sec alors qu'elle n'était que douceur et caresses. Ils l'ont rendue impénétrable, encombrée de concepts, d'allégories, de figures de style, d'obscures métaphores, alors que la simplicité, la sensibilité et l'écoute était sa seule rhétorique. Ils en ont fait un monstre de pierre dont il faut creuser la roche pour gagner le coeur.

« Je joue de la chasse d'eau dans un orchestre de free-jazz » disait une chanson d'Hubert-Félix Thiéfaine.
C'est un peu ce que l'on ressent à la lecture d'« Ad(e)n », sorte de free-littérature qui nous séduit pour nous égarer ensuite.
Delmaire est comme un musicien qui connaîtrait sur le bout des doigts solfège et théorie musicale : une très bonne pratique de son instrument mais un feeling très particulier qu'il ne semble pas toujours vouloir transmettre et partager, enfermé qu'il est dans le besoin d'originalité, dans cette sorte de marginalité chic et faussement désinvolte dont aiment à se draper les bobos qui se prennent pour des poètes maudits.

En définitive, Julien Delmaire, avec « Ad(e)n, c'est un peu trop d'égoïsme dans la pensée poétique, un peu trop d'orgueil dans la recherche de l'effet percutant, un peu trop de maladresse dans l'affranchissement des règles.
C'est d'autant plus énervant et dommageable que l'on sent chez lui un réel potentiel, une passion intacte pour les mots et la poésie, un lien quasi-physique et viscéral avec ces derniers.
Certains passages lus à voix haute ont réellement le pouvoir de résonner comme un chant tribal, une voix de griot qui viendrait du fin fond des origines, chargée d'humus, de sang, de chair, de vie.
Mais dans l'ensemble, cela ressemble trop souvent à un trip plutôt morbide pris sous LSD.
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