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Pierre Brunel (Éditeur scientifique)
EAN : 9782253096351
283 pages
Le Livre de Poche (01/10/1998)
4.34/5   3066 notes
Résumé :
4e de couverture édition Le Livre de Poche n° 5924 de 1984 ISBN 9782253034391 :

« Je veux être poète et je travaille à me rendre voyant. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérè-glement de tous les sens. C'est faux de dire « je pense. » On devrait dire « On me pense. » je est un autre. »
À dix-sept ans, Rimbaud s'est déjà défini. Il veut vaincre les apparences, briser les carcans de sa ville natale, Charleville. D'emblée, ce fut un chasseur ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (98) Voir plus Ajouter une critique
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sur 3066 notes
Quelle critique peut-on faire lorsqu'il s'agit d'une oeuvre si connue et si souvent visitée… On ne peut parler que de sa propre rencontre avec elle qui est toujours unique et souvent multiple. J'ai découvert Rimbaud il y a vingt ans et j'y ai replongé récemment. Arthur Rimbaud c'était ma porte vers la poésie moderne !
Je constate que mes textes préférés restent les même : Après le déluge, Enfance, Phrases, Veillées, Aube, Alchimie du verbe. Et encore une fois Veillées ! Les rimes ne m'intéressent plus. Elles font partie de la « virtuosité » du langage alors que depuis quelques années je tends uniquement vers le sens poétique. La même chose m'arrive dans la musique, dans l'interprétation musicale. Jouer Bach avec ses tripes et laisser tomber les oeuvres techniques !
Avant je me disais que mon expérience (petite) du français m'empêchait de profiter pleinement de tous les poèmes de Rimbaud. Mais même actuellement, certains de ses textes ne sont pour moi que de beaux objets sonores, ou visuels, sans le naturel qui m'est nécessaire pour éprouver de l'émotion véritable.
Rimbaud dans Une saison en enfer déclare lui-même : « La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe. Je m'habituai à l'hallucination simple ; je voyais très franchement une mosquée à la place d'une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac ; les monstres, les mystères ; un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi. Puis j'expliquai mes sophismes magiques avec l'hallucination des mots ! Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit. »
Je pense que quand un poème me plaît c'est que j'ai eu les mêmes hallucinations que lui ! Finalement la question principale est la même pour tout art moderne : cette création-là, relève-t-elle des « combats spirituels » ou de l'amusement ou de la provocation ? …
Mais encore une fois le début des Veillées c'est mon poème préféré de toujours !
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"Rentrés au logement vers deux heures, il a fermé la porte à clef, s'est assis devant; puis, armant son revolver, il en a tiré deux coups en disant :"Tiens, je t'apprendrai à vouloir partir !"
(de la déclaration de Rimbaud au Commissaire de Police, concernant l'incident du 10 juillet 1873)

Ce jour là, tout le monde écoutait la prof. Même les blasés, les cancres, et ceux qui ne venait au lycée que pour dormir.
Elle racontait l'histoire d'un trentenaire, qui, après avoir abandonné femme et travail, a essayé de tuer son jeune amant qui l'a entraîné dans un monde d'alcool, de drogues et de filles faciles, et maintenant il voulait tout simplement le quitter. Heureusement, il était plus doué pour écrire des vers que pour viser, alors le jouvenceau à peine blessé a survécu, a fait une croix sur sa propre carrière poétique, et est parti vadrouiller dans le vaste monde; tout ça pour mourir dix-sept ans plus tard d'une façon peu glorieuse suite à une inflammation au genou, en nous laissant en héritage quelques poèmes.

On était tous enchanté par l'histoire de Verlaine et de Rimbaud. C'était tellement différent des biographies de tous ces écrivains rangés... mais quitter le boulot le jour au lendemain, descendre un litre d'absinthe et partir en Belgique avec un jeune ado qui n'apportait, certes, rien de bon, mais avait des yeux si bleus qu'on ne pouvait pas faire autrement, c'était une autre tasse de café ! Les "maudits" ont le don d'interpeller par leur vie non-conforme et leur poésie même les jeunes d'aujourd'hui, et rien que pour ça, j'ai envie de les remercier. Mais les lire et apprécier vraiment, c'est une autre paire de manches.

La plupart de ces poèmes sont écrits avant le vingtième anniversaire de Rimbaud. Ils reflètent la crise d'adolescence d'un garçon incontestablement surdoué, son orientation sexuelle indécise, ses déceptions de la vie et ses incertitudes en ce qui concerne le futur. Comme s'il ne savait pas quoi faire de lui-même, et pour compenser ses interrogations, il écrivait. Sa poésie est pourtant étrangement lumineuse, même si elle combine d'une façon incroyable, dans une explosion d'images, le beau et l'immonde dans un seul vers.
Il remplit son chaudron de vieilles hardes dégoûtantes, mais sa décoction sent la rose. Ou alors il arrange des roses fraîches dans un vase, juste pour les regarder se faner ? Il balance dans la grande marmite de son imagination de belles jeunes Parisiennes, des égouts puants, la mer qui gronde, des chats crevés, ivrognes et cafards au clair de lune, pour flanquer dans votre assiette une portion qui n'est absolument pas indigeste, mais laisse quand-même une étrange sensation autour de l'estomac.

Toujours, Cher, quand tu prends un bain,
Ta chemise aux aisselles blondes
Se gonfle aux brises du matin
Sur les myosotis immondes !

La poésie de Rimbaud s'adresse parfaitement à tous nos sens connus, et nous fera possiblement découvrir quelques autres dont on ne soupçonnait même pas l'existence. Elle est remplie de couleurs, odeurs et saveurs de toutes sortes. Rimbaud faisait partie de ces fous qui éprouvaient le besoin de tout tester sur eux-mêmes : amour, souffrances, toutes les douleurs du monde et des centaines de malheurs possibles... Finalement, il ne pouvait peut-être pas finir autrement qu'il n'a fini.
On pourrait se demander comment évoluerait la poésie de ce jeune homme, s'il n'avait pas arrêté d'écrire à vingt ans, pour nous gratifier de ses vers encore les dix-sept années qui lui restaient à vivre. Il est devenu une icône patinée de mille traces de doigts, devant laquelle viendront se prosterner les générations futures. Est-ce mérité ? Essayez : on a du mal à se détacher de ses images, même si on ne sait pas si c'est beau, ou si ça donne plutôt envie de piquer une crise de nerfs.

L'amour ne passe à tes octrois
Que les Lilas, - ô balançoires !
Et les Violettes du Bois,
Crachats sucrés des Nymphes noires !...

C'est grâce à ces vers ("Ty kreslíš pro své rusalky/jen šeřík – liliově bílý! /A temné lesní fialky/ty sladké chrchle černé víly!") que j'ai découvert Rimbaud à dix-sept ans, avant de pouvoir le déguster en français. le traducteur, excellent Nezval, avait le culot de traduire le mot "crachats" par un immonde synonyme tchèque "chrchle", et je savais tout de suite que la poésie de Rimbaud ne sera pas aussi prévisible que les vers de Jiri Wolker qu'on avait l'habitude de côtoyer...
L'autre soir j'avais rajouté une poignée de pâtes-lettres dans la soupe aux légumes, et en regardant les mots se former au hasard au milieu des carottes et des petits pois, je me demandais si... ? Peut-on vraiment "comprendre" la poésie de Rimbaud ?
Mais "Ce n'est rien! j'y suis! j'y suis toujours!..." 4,5/5
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Comme il est surprenant de retrouver des textes qui nous ont été donné de rencontrer à l'école. Ceux sur lesquels on a buté, et parfois qui nous ont mené à l'incompréhension ou le désarroi le plus total. C'est un étrange sentiment de retrouver des souvenirs perdus avec l'imagination de mieux comprendre, d'effleurer enfin la sensibilité de l'homme derrière les mots; le besoin de dire ou de crier la révolte, le besoin de se saisir de la liberté, de larguer les amarres.

C'est par un étrange chemin que je me suis retrouvé de nouveau face à Rimbaud. Et pourtant, il n'avait plus le même visage ou peut être que c'est moi qui n'ai plus le même, car lui ne semble pas avoir tant vieilli lorsque je me souviens que son recueil a été écrit en 1871, alors qu'il a 17ans.
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Il existe un mythe d'Arthur Rimbaud. Une sorte de légende qui a fasciné les plus grands écrivains depuis le XIXème siècle. Cette histoire magique de ce poète précoce et ingénieux qui crée des merveilles puis s'éteint à tout jamais sans laisser de traces ni d'explications à ce choix mystérieux. Ce conte fantastique de ce poète voyant a été le sujet de tant de chroniques, de critiques, de livres, d'essais. Tous ont tenté de jeter un peu de lumière sur ces zones d'ombre.

Dans leurs recherches, ils ont fouillé dans sa correspondance, analysé ses photographies, questionné les témoignages de ses proches et contemporains. Pour certains il suffit de se concentrer sur ces cinq ou six années de production poétique; pour d'autres, le Rimbaud qui part en aventure, laissant derrière lui son bateau échouer sur les côtes de la poésie, est aussi intéressant. Ainsi, entre ceux qui trouvent dans cette expérience rimbaldienne toute l'explication de leur esthétique littéraire (comme Claudel ou Breton ou même Blanchot) et ceux qui se situent comme admirateurs de son art (comme Mallarmé ou Verlaine entre autres), on trouve ceux, moins crédules, qui désacralisent ce saint (comme Guillemin ou Etiemble).

Mais laissons cela aux chercheurs et parlons en tant que lecteurs; de simples lecteurs qui croient que "je est un autre" et qu'entre l'oeuvre et l'auteur il y a parfois un abîme. Cet abîme qu'on ne peut sonder mais par contre ce qu'on peut faire c'est tout simplement lire cette oeuvre magistrale et savourer ce plaisir exquis. La lire sans avoir ce besoin presque cruel de vouloir interpréter, expliquer cette poésie. Tout le plaisir est dans ce voyage à travers un monde nouveau où le poète tente de renouveler tout ce qu'on a connu auparavant. Il faut « voir » pour suivre ce long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Car ce Prométhée des temps modernes qui est concerné par la destinée de l'humanité entière veut mettre fin à cette vieillerie poétique comme il la nomme pour ouvrir une nouvelle voie où l'imagination et l'hallucination se rapprochent dans une harmonie extravagante.
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Force m'est de reconnaître qu'en poésie, genre face auquel je me sens aussi frêle et mal à l'aise que l'oiseau qui vient de naître et qui se demande où et qui il est, il me faut me raccrocher aux branches de l'académisme si je veux apprécier quelques vers. Ainsi apprécié-je Hugo et La Fontaine, qui constituent avec Baudelaire, mon Panthéon personnel d'un art dont je ne maîtrise ni les règles ni les nuances.

Avec Rimbaud, nous sommes loin de cet académisme qui me rassure. Poésie engagée, pensée libérée, vers imagés à travers lesquels il faut deviner les doubles sens. Poésie pour laquelle je ne suis ni équipée ni prédisposée. Poésie qui me laisse de marbre quand elle fait vibrer tant d'autres. Grâce à un challenge littéraire, j'aurai à nouveau tenter l'expérience, hélas sans succès. Passés "Le dormeur du val" et "Ma bohème" disséqués (et appréciés) sur les bancs de l'école, je reste totalement imperméable à la magie prophétisée. Au-delà des évocations indéniablement vivantes de la vie de bohème ou des scènes de la vie quotidienne dans le Paris de 1870, je ne suis ni particulièrement touchée ni transportée par les vers du jeune poète aux multiples talents.

De tout le recueil, un seul poème m'a interpellée, "Les étrennes des orphelins" mais c'est sans doute l'un des plus "académiques" du poète, et la boucle est bouclée.


Challenge MULTI-DÉFIS 2017
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Citations et extraits (346) Voir plus Ajouter une citation
Le dormeur du Val

C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

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Les poètes de sept ans

Et la Mère, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et très fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences,
L'âme de son enfant livrée aux répugnances.

Tout le jour il suait d'obéissance ; très
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampe
On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté
A se renfermer dans la fraîcheur des latrines :
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
Derrière la maison, en hiver, s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son oeil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots !
Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,
Sa mère s'effrayait ; les tendresses, profondes,
De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.
C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment !

A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes,
- Huit ans - la fille des ouvriers d'à côté,
La petite brutale, et qu'elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos en secouant ses tresses,
Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons ;
- Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.

Il craignait les blafards dimanches de décembre,
Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,
Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;
Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.
Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Où les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des édits rire et gronder les foules.
- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor !

Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulements, déroutes et pitié !
- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, - seul, et couché sur des pièces de toile
Écrue, et pressentant violemment la voile !
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Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

SENSATION.
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Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.
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Bonne pensée du matin

À quatre heures du matin, l'été,
Le sommeil d'amour dure encore.
Sous les bosquets l'aube évapore
L'odeur du soir fêté.

Mais là-bas dans l'immense chantier
Vers le soleil des Hespérides,
En bras de chemise, les charpentiers
Déjà s'agitent.

Dans leur désert de mousse, tranquilles,
Ils préparent les lambris précieux
Où la richesse de la ville
Rira sous de faux cieux.

Ah ! pour ces Ouvriers charmants
Sujets d'un roi de Babylone,
Vénus ! laisse un peu les Amants,
Dont l'âme est en couronne.

Ô Reine des Bergers !
Porte aux travailleurs l'eau-de-vie,
Pour que leurs forces soient en paix
En attendant le bain dans la mer, à midi.
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Vidéo de Arthur Rimbaud
Arthur RIMBAUD – Les curiosités du cimetière de Charleville (DOCUMENTAIRE, 2006) Un documentaire intitulé "Praline" réalisé par Jean-Hugues Berrou en 2006.
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