Citations sur Abîmes (29)
Il se contentait de vivre, de se fondre dans son environnement familier, cette forêt qui l'abritait depuis toujours et la neige, sa matrice. Il la sentait venir, à l'intérieur de son corps, dans ses veines, ses os et ses muscles qui se tendaient sous la peau. Il pouvait la respirer avant de voir les premiers flocons s'échapper du ciel bas et opaque.
Souvent, elle avait envié les aigles, sentinelles gracieuses et planantes, observateurs puissants, en suspension au au-dessus des sommets enneigés, rois du ciel, libres et majestueux. Prédateurs, certes, mais fascinants. Tellement éloignés de ces prédateurs humains dont l’intelligence ne suffisait plus à maîtriser les pulsions.
(Denoël, p.337)
Une dizaine de chalets comme le sien, bâtis entre les sapins, dont certains supportaient même les murs en rondins, semblaient déjà endormis, excepté la fumée qui sortait de la cheminée. Locomotives sans départ, amarrées au sol. Ces femmes et ces hommes qui étaient devenus, un jour, Ceux de la forêt, avaient préféré cette vie-là, libre et sauvage, au cœur de la nature et d’eux-mêmes, n’y puisant que l’essentiel pour un confort sommaire. Et parce qu’à toute communauté est nécessaire un guide ou bien un chef, ils avaient laissé la doyenne, l’Espada, prendre les rênes.
Les choses n existent que si on leur donne l'occasion.
La peur est un sentiment qu'il vaut mieux ne pas partager.
Au détour d'un virage, le chalet apparut dans un brouillard, visage sombre et solitaire de géant aux paupières closes sous un chapeau d'ardoise.
Souvent, elle avait envié les aigles, sentinelles gracieuses et planantes, observateurs puissants, en suspension au-dessus des sommets enneigés, rois du ciel, libres et majestueux. Prédateurs, certes, mais fascinants. Tellement éloignés de ces prédateurs humains dont l'intelligence ne suffisait plus à maîtriser les pulsions. ( p 337 )
Au fil des pages, le noeud se resserrait. Elle avait l'impression que sa trachée n'était plus qu'un tube tout juste assez large pour y glisser un fil dentaire. Parfois elle se surprenait à relire trois fois la même phrase, pour s'assurer d'avoir bien compris. Les mots, crus, sans pudeur, mordants, s'entrechoquaient, se superposaient, frappaient, révoltaient, cinglaient comme des coups de lanière, se plantaient dans sa chair, tels des clous ou des punaises. Flores se demandait quel esprit, quelle âme avait pu écrire tout ça et surtout, le vivre. Une âme à la noirceur absolue, sans doute. Le Mal personnifié.
Après une année d’absence, elle était enfin revenue se nichant partout dans la vallée de ces Hautes-Pyrénées. La neige. Lourde, compacte, dense, de la belle poudreuse.
Tout comme les membres de sa communauté, que Ceux d’en haut appelaient Ceux de la forêt, l’Espada connaissait chaque arbre des bois où ils vivaient. Elle avait appris à Noah comment ceux qu’elle qualifiait de rois et de princes couronnés grandissaient. Comment ils s’entraidaient, se protégeaient les uns les autres, communiquaient par un frémissement de feuille ou de sève, un craquement de leur peau en écailles sombres. Elle lui avait parlé du rôle de sentinelle qu’avaient les champignons qui poussaient à leurs pieds. Car, dans la nature, tout était parfaitement organisé et se tenait. Les minuscules maillons d’une immense chaîne. Si l’un d’eux venait à défaillir ou à manquer, ce serait le chaos.