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Critique de encoredunoir


Avertissement : cette chronique révèle certains points importants de l'intrigue.

Sur une route de campagne, un homme est assassiné dans sa voiture broyée et incendiée par un mystérieux engin. le lieutenant Diallo, chargé de l'enquête sur ce qui semble de prime abord être un accident, voit dans cette affaire la dernière occasion de relancer sa carrière. Pendant ce temps, la juge Claire Brissac et le commissaire Mayol enquêtent sur le meurtre maquillé en suicide d'un inconnu au passé trouble.

Commençons par dire que oui, en effet, on a abordé le roman d'Olivier Descosse avec un a priori plutôt négatif pour au moins deux raisons. Parce qu'on apprécie peu ses méthodes de promotion à base de faux messages envoyés aux bloggueurs (c'est la fameuse affaire « Chloé Nolife » dont on parle par exemple ici : http://www.actualitte.com/societe/marketing-viral-chloe-tourne-au-vinaigre-chez-michel-lafon-10708.htm ). Parce que, juste avant de commencer le livre, on a eu la curiosité de chercher des critiques sur internet et que l'on s'est aperçu que c'était en gros, sur divers sites et forums, toujours les trois ou quatre mêmes internautes qui s'extasiaient sur le roman pendant que les autres se taisaient (pudiquement ?)… ce qui laissait augurer d'un ouvrage loin de faire l'unanimité.

De la minceur de l'intrigue

Il faut dire que cela commence plutôt mal sur le plan de l'intrigue.
D'un côté un chauffard alcoolique se plante en voiture dans le Perche et est exécuté. de l'autre un homme est jeté d'un immeuble dans le XIIIème arrondissement. On se doute bien que les deux événements sont liés d'une manière ou d'une autre et le lecteur curieux cherchera à savoir pourquoi. Mais le lecteur n'est pas là pour réfléchir et l'auteur a décidé qu'il ne saurait rien avant d'arriver dans les cinquante dernières pages. C'est à ce moment-là seulement qu'une explication aussi courte qu'alambiquée lui sera servie clé en main (il ne saura toutefois jamais vraiment qui a commis l'assassinat du fou du volant, ni comment). Entre temps, Olivier Descosse promène ses personnages à travers la France et la Belgique à la recherche de preuves et d'indices. Comme cela dure plus de 500 pages (version poche), c'est un peu long même si l'auteur essaie de ménager des rebondissements qui prennent la forme soi de fausses pistes, soi, de manière récurrente en ce qui concerne l'enquête de Diallo, de la découverte que l'indice qu'il cherchait ne se trouve pas là mais un peu plus loin, donnant peu à peu un aspect grotesque à cette quête : il faut voir Diallo quitter le Perche pour aller interroger un témoin à Paris puis, de là, partir vérifier les dossiers d'une prison à Nice, puis aller interroger un supposé témoin (toujours du côté de Nice, Dieu merci), puis fouiller des archives dans un hôpital, aller chez un médecin à la retraite, chercher des archives à nouveau, mais chez les pompiers cette fois, et revenir finalement à Paris (ndr : par souci de rapidité, nous avons sauté quelques étapes).
Car, de toute évidence, le Perche est une de ses régions françaises qui n'ont pas encore été équipées en téléphone et encore moins en connections internet. de son côté, la juge Brissac, elle, a la chance d'avoir un ordinateur connecté, ce qui lui permet de travailler d'arrache-pied sur l'indentification d'un tatouage (en tapant « tatouage sataniste », Google est merveilleux). Ce sera par contre la seule incursion sur les réseaux de télécommunications de la juge et du commissaire qui mène l'enquête avec elle. Pour le reste, ils ont la chance de toujours connaître quelqu'un qui connaît quelqu'un… et la possibilité de se déplacer.
Tant et si bien qu'après quelques dizaines de pages on finit par ne plus voir que cette lente avancée et par perdre de vue l'intrigue dans son ensemble.

De l'épaisseur des personnages

Mais dans un roman, l'intrigue ne fait pas tout. Il y a aussi des personnages. Et en l'occurrence Olivier Descosse a pris soin de leur donner de l'épaisseur. Ils sont donc torturés : le mari de Claire Brissac a été assassiné en plein prétoire et son meurtrier pourrait être déclaré irresponsable par les psychiatres, les parents du commissaire Mayol ont été tués dans un attentat, le lieutenant Diallo a quitté Paris pour suivre sa femme dans le Perche mais cette dernière pense à le quitter. Mais un événement traumatisant ou une crise de couple ne font pas des personnages. Et Descosse de nous présenter chacun d'entre eux – et même quelques personnages secondaires – en détail, déroulant mécaniquement de véritables biographies de la petite enfance à nos jours (il ne manque que les carnets de santé). Là encore, cela apparaît bien long.
En fin de compte on ne retiendra de toute façon que les choses suivantes : Brissac est traumatisée, Mayol est bouddhiste et Diallo est noir (Descosse se contente d'ailleurs souvent de l'appeler « le Black »).
Du côté des méchants, pas de surprises. Ils sont vraiment méchants. L'un d'entre eux est même, comme l'expliquent Mayol et Brissac, une incarnation vivante du mal. C'est dire.
Pour autant, certains caractères ne sont pas présentés de manière aussi manichéenne, même si cela n'apparaît vraiment qu'au moment du dénouement. En effet, les responsables des meurtres se trouvent finalement être des magistrats écoeurés par le laxisme de la justice. Une thématique qui n'est pas nouvelle en littérature ou au cinéma et qui garde chez Descosse cette part d'ambigüité. L'auteur dénonce d'une certaine manière leurs actes mais, à travers leurs paroles et la manière dont il a présenté les victimes comme des incarnations du mal, pousse à les excuser .

De la lourdeur du style

Bien entendu, l'écriture compte aussi. Elle est d'ailleurs mise en avant dans certains commentaires : « Déjà lu les 100 premières pages, c'est captivant, une ambiance électrique, un très bon suspense servi par un style sec, haché et pourtant agréable car les mots sont judicieusement choisis et les dialogues dignes des meilleurs films policiers, j'espère que la suite confirmera cette impression. » explique Darkanny sur le forum Passion Livres.
Les goûts et les couleurs… répondra-t-on. Pour autant, n'est-ce vraiment qu'une question de goût ? Peut-on réellement dire que les mots sont « judicieusement choisis » quand l'auteur compare un personnage à un dolmen au lieu, suppose-t-on, d'un menhir (« L'homme était immense. Au moins un mètre quatre-vingt-dix, bâti comme un dolmen, un genre de camionneur au système pileux de grand singe », p.88) ?
L'emphase de certaines descriptions peut elle aussi laisser le lecteur coi. On ne se laissera pas aller à dresser un interminable inventaire sous forme de bêtisier et on se contentera de relever cette description de Chartres qui porte elle-aussi sa part d'ambiguïté et permet de deviner en Olivier Descosse le digne héritier de Jean-Pierre Pernaut ET de Marc Lévy :

« Chartres était une ville sans histoires.
Peu de délinquance, une vie nocturne inexistante, des jeunes vieillis avant la date par l'apathie ambiante. Ni riche, ni pauvre, elle projetait l'image d'une France profonde, paisible, ancrée dans les valeurs tranquilles de la ruralité.
Michel se gara à proximité du palais de justice, au coeur de la vieille ville. Maisons à pignons, rues pavées, tertres, ce décor médiéval lui semblait irréel. Il y voyait une sorte de pesanteur archaïque, l'idée d'un monde artificiel aux airs de crèche pour gosses. Dans le département voisin, à la périphérie de Paris, des guerriers suburbains prenaient déjà d'assaut des commissariats fortifiés. Un jour, ils pousseraient leurs raids un peu plus loin. Alors, tout ce bonheur factice exploserait brutalement, rattrapé par l'onde de choc de la réalité » (p.112)

Mais que fait Charles Martel ?

De la force de l'Imaginaire.

Et l'imaginaire dans tout ça ? Et bien, il est là. Comme nous avons déjà pu le relever à propos de Monster, de Patrick Bauwen, l'imaginaire prend ici sa source dans ce que le cinéma ou les légendes urbaines peuvent nous offrir : triades chinoises, combats à mort clandestins, hooligans d'extrême-droite… un imaginaire fondé sur ces thématiques violentes qui fascinent le grand public et font le succès des reportages à sensation des chaînes de télévision ou des films de série Z.
Des thématiques sur lesquelles l'auteur donne l'illusion d'être renseigné (il dispose sans doute de Google, lui), laissant planer le doute sur l'existence de tels agissements. D'autant plus qu'il place son roman sous le signe de la précision, du réel. Ainsi, lors des interminables tribulations de Diallo en Provence, Descosse noie le lecteur sous un déluge de détails (noms des hôpitaux et cliniques avec même leurs spécialisations, adresse exacte de la caserne des pompiers ou du commissariat…) parfois approximatifs, pourtant. Pour ne s'arrêter que sur un sujet que l'on connaît, il explique que les pompiers de Nice sont des marins-pompiers (les marins-pompiers n'exercent en fait qu'à Marseille et dans les bases navales), que les casernes de pompiers gardent des archives de toutes leurs interventions avec rapports du légiste, photos etc (c'est le travail de la police ou de la gendarmerie) et que la devise des pompiers est « Vaincre ou périr » (il s'agit en fait de « Sauver ou périr »).
L'imaginaire ici, donc, c'est du réel plus réel que le réel. de quoi exciter l'imagination et faire frissonner le lecteur à peu de frais à partir d'événements qui pourraient se dérouler juste à côté de chez lui.

En fin de compte, La liste interdite se trouve être avant tout un roman bien long qui développe un imaginaire qui se présente comme une réalité à même d'alimenter les craintes d'un lectorat dont on n'est pas sûr qu'il n'interprètera pas ce qu'il lira comme de l'information ou qu'il ne verra pas dans ce qui n'est qu'un énième thriller à l'idéologie ambigüe une manière de poser avec pertinence le débat sur la peine de mort ou la vengeance face à l'insécurité et au laxisme judiciaire. À lire pour se préparer efficacement à l'arrivée imminente de hordes de « guerriers suburbains ».



Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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