Citations sur Un certain M. Piekielny (145)
Lui qui avait si peu de talent (sauf en littérature, « le dernier refuge sur cette terre, de tous ceux qui ne savent pas où se fourrer »
Ce garçon représentait Roman à huit ou neuf ans regardant très haut vers le ciel, comme pour le prendre à témoin. Au pied de cette statue, ce jour-là, se trouvait une rose. Tout n’était pas foutu : il y avait encore des gens en ce bas monde pour poser des roses au pied des écrivains.
Il ne faut pas avoir peur du bonheur tu sais c'est seulement un bon moment à passer.
Chaque fois que j'écris un roman, c'est pour vivre d'autres vies que la mienne.
— Ça vous amuse, Gary ?
— Beaucoup. Pas vous ?
Ce vous, imperceptible en anglais, s’adresse à l’officier britannique du MI5 que visiblement, non, ça n’a pas l’air d’amuser.
— L’affaire est grave. Très grave. Vous en avez conscience ?
La scène a lieu dans un endroit tenu secret, une pièce humide, en sous-sol, avec pour tout mobilier un bureau, deux chaises, un miroir sans tain, et pour seul éclairage une lampe braquée sur le visage du Français pour le moment pas si libre.
— Pas vraiment, non.
— Reprenons. Nous avons donc intercepté un courrier qui vous est personnellement adressé, sur lequel une main anonyme a écrit : « Inutile de venir : les Américains vont débarquer. » Vous voyez le nom sur l’enveloppe ?
— Oui.
— Vous confirmez en être le destinataire ?
— Je confirme.
— Et vous confirmez qu’il s’agit là d’une correspondance codée ?
— Tout à fait.
— Vous savez comment on appelle cela, en temps de guerre ? De la haute trahison.
— De la haute trahison !
— Parfaitement. Et vous savez ce qui attend les coupables de haute trahison ?
— Pas la moindre idée.
— La cour martiale.
— La cour martiale !
— Oui, et le peloton d’exécution.
— Le peloton d’exécution ! Pour si peu !
— Comment ça, pour si peu ! Quelqu’un vous informe des mouvements des troupes –nous savons tous deux qu’un débarquement est imminent-, vous donne des instructions –ce mystérieux « inutile de venir » - et vous croyez vous en tirez ? Pour qui travaillez-vous, Gary ? Les Fritz ? Les Soviets ? Vichy ?
— Je travaille pour moi-même, ou du moins une jeune fille, vous devriez la voir, une brune aux yeux verts que je devais retrouver dans trois jours. Nous avons nos habitudes dans un petit hôtel à deux pas d’ici. Or elle est, comment dire, indisposée. « Les Américains vont débarquer », c’est un code, en effet. Elle aurait dû écrire « l’Armée rouge est en marche », vous auriez peut-être compris.
— Vous vous foutez de ma gueule, Gary ?
— Absolument pas. Tenez, voici son nom et son adresse, vous pourrez vérifier.
Vérification faite, Gary est relâché.
Voilà donc à quoi se réduit votre vie, la vie d’un homme à qui la vie a fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais, un homme tour à tour aviateur, diplomate, écrivain, adoubé, encensé, méprisé, admirable grand tas de secrets bardé de joies, d’angoisses et de chagrins : un petit tas de cendres jetées dans les vagues et dans le vent, un peu de gris dans un peu plus de bleu.
Oh, regarde ce chien ! Le seul endroit au monde où l’on peut encore rencontrer un homme digne de ce nom, c’est le regard d’un chien.
Vous savez, me dit Roger Grenier, Romain Gary avait ses petits arrangements avec la vérité. Je savais : c’était un écrivain. La vérité, l’âpre vérité, il préférait la déguiser, la travestir - c’est qu’elle n’était pas toujours parée de ses plus beaux atours, cette vérité, elle n’était pas toujours reluisante, elle ne brillait pas des mille feux que le réel avait éteints mais que les Lettres étreignaient, étaient à même de ranimer. Alors la vérité à vrai dire il s’en foutait, il en faisait sa vérité, il la maquillait, la poudrait, la gardait comme se fardent les filles dans les sous-bois, sur les trottoirs, partout enfin où la pudeur se négocie puis se brade.
Il faut savoir s’incliner face à la combinaison des hasards qui gouverne nos vies.
Je n'avais pas lu les racines du ciel avant de commencer cette enquête. Au début c'est un peu long, un peu poussif, un peu touffu, ça se répète beaucoup - comme si Gary avait voulu suivre le précepte d'un ami écrivain qui un jour m'a dit sérieusement: Je commence tous mes romans par cinquante pages ennuyeuses. Pour décourager les cons.
Et peu à peu c'est un torrent qui vous emporte.