Citations sur Évariste (91)
Je préfère toujours le mystère aux certitudes bien forgées , le champ des possibles à l'indéniable vérité .
Comme si on pouvait étaler des mots dans une phrase comme un baume sur une plaie
C'est qu il y avait dans les nombres une indicible harmonie , une perfection absolue , autant de poésie qu'il peut y avoir de poésie dans la poésie .
Vous connaissez l'Ancien Régime, sa partition millénaire, vous savez comment elle se joue : les nobles, qui ont les terres, ne font rien et font de l'argent ; le clergé, qui a le ciel, ne fait rien et fait de l'argent ; le tiers état, parce qu'on lui a promis dans l'autre vie le ciel du second, s'échine dans celle-ci sur les terres des premiers, fait tout, n'a rien, ne fait pas d'argent. Trois ordres donc, et au-dessus des trois ordres, des trois dignités, le roi qui tient son pouvoir de Dieu, qui est comme Dieu sur terre, qui n'a de comptes à rendre à personne sauf à Dieu, c'est-à-dire à personne. Voilà pour le tableau.
Alors parlons politique, puisqu'il nous y oblige. Au pouvoir, on le sait, il y avait le roi, Louis-Philippe, or le roi, on le sait aussi, ne faisait que régner ; il ne gouvernait pas. Celui qui gouvernait, alors, s'appelait Casimir Perier, banquier devenu président du Conseil, chef de file du parti de la Résistance qui au-dedans voulait l'ordre sans sacrifice pour la liberté, et au-dehors la paix sans qu'il en coûtât rien à l'honneur. Et de fait il eut et l'ordre et la paix, mais au prix de la liberté et dans le déshonneur : il matait les révoltes à grands coups de grandes seringues à clystère, de sabres et de fusils, à grand renfort de fantassins et de dragons suppléant la Garde nationale, ce legs de 89 habilement transformé en milice de bourgeois bedonnants qui préféraient une injusdce à un désordre.
Delacroix a écrit quelque part, dans son journal peut-être — lorsqu'il ne peignait pas La Mort de Sardanapale ou La Liberté guidant le peuple, Delacroix troquait son pinceau pour une plume et, d’une inain lissant ses moustaches de maharaja, tenait de l'autre un journal —, que « la pratique d'un art demande un homme tout entier ».
Tout est écrit et, de fait, sur Evariste on a beaucoup écrit. On ne compte plus les essais, les biographies, les témoignages de contemporains. On ne compte plus les colloques, les mémoires, les thèses, les articles. On a dit tout et son contraire : on s'est souvent trompé. On a dit à tort qu'il fut victime d'un complot ; à raison qu'il fut aux mathématiques ce qu'à la poésie fut Arthur Rimbaud : un Rimbaud qui n'aurait pas eu le temps de nous envoyer la Saison à la gueule ; qui aurait cassé sa pipe après Le bateau ivre, les vingt-cinq quatrains depuis le fin fond des Ardennes envoyés à la gueule de Verlaine en même temps qu'à celle de Paris ; un Rimbaud qui n'aurait connu ni Harar ni Aden ni les dents d'éléphant ni la scie sur la jambe à Marseille : parce qu'en vérité c'est la fin du dormeur que ce Rimbaud a connue, c'est le trou de verdure, la nuque baignant dans le frais cresson bleu, le soleil, la main sur la poitrine. Le trou rouge au côté droit.
C'est en 1775 que Gabriel Galois vint au monde — la généalogie est formelle, aussi formelle que les encyclopédies grâce à quoi on sait que la même année Goethe s'établit à Weimar, Beaumarchais joue son Barbier au Théâtre-Français, Pougatchev est décapité à la hache, et le jeune Mozart, qui n'a pas vingt ans, est à Salzbourg où Haydn à son sujet se répand en louanges. Les hommes vaquent à leurs occupations, la vie suit son cours, et celle de Gabriel Galois va bientôt commencer.
On sait qu'Evariste — d'emblée appelons-le Evariste — eut pour père Gabriel Galois, et de Gabriel Galois on ne sait pas grand-chose, si ce n'est qu'il fut le père d’Evariste (voyez comme une phrase, sous des dehors anodins, peut regorger d'indicible cruauté : que l'on puisse, après sa mort, réduire à sa seule qualité de père un homme qui vécut cinquante-quatre années, voilà qui devrait inciter les autres à cesser tout commerce charnel — et au diable l'humanité).
Mais elle ne savait pas, non, elle ne savait pas qu'en ce moment où ils paraissaient si éloignés l'un de l'autre, ils étaient beaucoup plus proche qu'ils ne l'avaient jamais été : ils étaient tous les deux voisins du ciel, mademoiselle, puisqu'elle était belle, et lui puisqu'il allait crever.