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Critique de migdal


Où débute la fiction, où s'arrête l'Histoire (avec une majuscule), voici la question que me pose ce livre apparenté à la « non fiction novel » anglo-saxonne.

La propagandiste c'est Lucie, midinette née après la guerre 14-18, dans une famille ayant ses racines en Afrique du nord et en Bourgogne. Scolarisée dans un lycée parisien, méprisée par certaines condisciples, filles de la bourgeoisie, parfois israélite, elle développe un sentiment anti sémite. Durant l'occupation, elle rencontre Friedrich, alsacien, biologiste acquis aux thèses racistes véhiculées par Joseph Mengele. Mariage, occupation place des Pyramides d'un appartement expurgé de son propriétaire juif, collaboration à Signal où son oncle Gaston, directeur à Paris Soir, l'a recommandée. le jeune couple et leur famille brillent à l'ambassade allemande et dans les hauts lieux germanophiles, mais il est invraisemblable que Friedrich aille à Meudon visiter Céline habitant 4 rue de la Girardon, dans le XVIII durant l'occupation comme le rappelle l'édition de ses manuscrits « perdus ».

Le débarquement allié incite Friedrich à retrouver précipitamment une virginité en contactant les américains, mais il meurt heurté par un camion de l'US Army. Lucie et ses proches filent en Bourgogne, disparaissent des radars avant de reparaitre petit à petit. Les biens juifs volés, cachés en Bourgogne, sont écoulés au fil des années, par des antiquaires et brocanteurs et Lucie épouse en seconde noces Charles (Pierre Desprairies) haut fonctionnaire dans le secteur énergétique.

Ainsi résumée, la première moitié de l'intrigue illustre la banalité du mal et rappelle des dizaines de témoignages de descendants de collabos tels que « Un héros » de Félicité Herzog, « Enfant de salaud » de Sorj Chalandon, les souvenirs de Frédéric Vitoux, les romans de Patrick Modiano, etc.

Mais « La propagandiste » se singularise dans sa seconde moitié en révélant une femme intrigante, qui, après la libération séduit un officier américain qui l'emmène outre atlantique où elle intègre Life, puis rentre après l'épuration, engendre 4 enfants, sans oublier Friedrich (c'est une veuve toujours inconsolable quatre décennies après) et prénomme son fils comme le défunt « Mon frère, premier-né, est prénommé Frédéric. Autant dire Friedrich Junior, ou Friedrich 2, comme le subjonctif du même numéro. Lucie l'habille parfois en Lederhose, la culotte de peau austro-bavaroise, et peigne ses cheveux blonds en arrière. Friedrich Junior est à la fois l'enfant rêvé et un rêve d'enfant, même si Lucie aurait tant aimé que le père fut éponyme. »

Lucie reste fidèle à l'idéologie nazie, conserve pieusement les livres du défunt et passe son temps, en famille, à évoquer le bon temps de l'occupation. « Elle sait sûrement qu'elle a tout perdu mais n'en accepte pas l'idée. Seul le déni lui reste. Se mentir rend les choses plus supportables. Il suffit de se répéter suffisamment longtemps un mensonge pour qu'il se mue en vérité. de toute façon, avec Hitler, c'était tout ou rien. Friedrich l'a écrit sur une carte : Mit Hitler - Allés oder Nichts. Ce sera donc tout, y compris la fausseté, les petits arrangements avec l'honnêteté, les écrans de fumée, la méchanceté parfois et quelques bonnes mises en scènes saupoudrées de propagande. Qui n'adhère pas à son système est à mettre aux encombrants. »

Ce déni pernicieux fait froid dans le dos et qu'une femme persévère ainsi dans ses errements juvéniles me stupéfie autant que les nostalgiques du communisme regrettant l'époque bénie de l'URSS et je suis abasourdi que les enfants de Charles et Lucie déterrent Friedrich et l'enterrent avec leurs parents « Ci-Gît Friedrich, Gauleiter de la Lotharingie, désormais enterré chez lui. Ci-Gît Lucie et Ci-Gît Charles. Autour de Lucie volettent quelques mânes, les « possédés du démon », comme elle aimait à le répéter, sortes d'anges gardiens du mal. Tous les grands-oncles, les vrais, les demis, les faux, les presque apparentés. Et ils rient bien. »

Ce témoignage, reçu à l'occasion d'une opération Masse Critique (merci au Seuil), est intéressant et tragique et se caractérise par la noirceur de tous les personnages et son écriture caustique. Il montre l'emprise d'un homme sur une adolescente, son embrigadement (comme dans les sectes), et son aveuglement définitif. Il montre que le nazisme n'est pas mort, comme le prouve, par exemple, la propagande actuelle pour l'euthanasie et l'eugénisme.

« Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance » tel se résume La propagandiste.
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