Dhauli était libre de laisser ses pensées vagabonder tandis que les chèvres paissaient dans la forêt. Parfois, elle étalait le pan de son sari et se reposait, allongée au sol. Elle n'avait pas peur ni des loups ni des léopards. Car si les humains craignent les bêtes sauvages, la réciproque est tout aussi vraie. Le calme régnait dans la forêt (...). Elle retrouvait la paix.
Une belle querelle se préparait. Sanichari s'en réjouissait d'avance. Rien de tel qu'une bonne dispute pour débarrasser l'esprit de ses scories et faire place nette. Voilà pourquoi la mère de Dhatua s'en prenait même aux corbeaux et aux milans. Une dispute, c'est bon pour le moral, pour le corps, ça vous fait circuler le sang dans les veines comme les balles d'un fusil.
D'ailleurs, aucun de ses rêves n'avait jamais vu le jour, pas même le plus modeste. Le gros peigne dont elle avait envie, elle n'avait jamais pu se l'acheter. Les bracelets de laque qu'elle n'aurait aimé garder aux poignets au moins un an, elle avait dû les enlever. Avec le temps, ses rêves avaient évolué. Avec le temps, ses rêves avaient évolué.
Quand Mary Oraon se tient debout sur la colline et qu'elle regarde passer le train, elle est aussi un objet de curiosité pour les voyageurs qui peuvent l'apercevoir. Elle a dix-huit ans, elle est élancée, a le visage rond, un nez épaté et un teint cuivré, plutôt clair. Elle est généralement vêtue d'un sari imprimé. De loin, elle semble tout à fait charmante mais, de près, on perçoit dans son regard comme une lueur d'hostilité.
Le jour dit, assis sous l'arbre, Dinu rayonnait. Dulali n'alla pas le voir. Elle resta enfermée dans sa chambre sans pouvoir parler à personne, le cœur brisé. Finalement, elle noua sa chevelure négligée en un chignon lâche, se drapa dans son sari blanc sans bordure et s'approcha lentement de l'extrémité de la cour. Elle observa Dinu de loin, contempla son dhoti de soie blanc, sa chemise écrue, le châle autour de ses épaules, la marque de santal sur son front, les anneaux d'or à ses oreilles - signe de sa lignée. Quand il la découvrit, il la regarda un long moment et se redressa. Puis il arracha la guirlande qu'il avait autour du cou, jeta son châle à terre et effaça la marque sur son front.
Cette nouvelles règle fut donc mise en pratique. Kanalicharan devint un père professionnel et Jashoda une mère professionnelle. En vérité, devant l'exemple de Jashoda, la justesse de ce couplet tiré d'un chant de dévotion ne pouvait que convaincre l'esprit le plus sceptique :
"Être mère n'est pas chose aisée
Il ne suffit pas d'avoir accouché.