Par blessure. Par mystère. Pour confirmer, avec rage, avec hargne, avec désespoir, ce qu'ils pensent tous, là bas, dehors.
pour être. Pour devenir. Pour ne pas disparaître à tes propres yeux. Pour sortir de la gangue des passifs, des oisifs, des ratés, de la sciure des regards, du plomb des jours, du tranchant des heures, de l'ombre des vivants, de l'absence des morts, du gravier des médiocres, du moisi, de la nudité, de la laideur, de la moquerie, des rires, des pleurs, des instants, de l'éternité, du bref, du lourd, de la nuit, du jour, de l'après-midi, de l'aube, des madones effacées, des diablesses disparues.
Rien de tout cela n'est toi.
Sortir de tout cela, déjouer les chercheurs, les suiveurs, quitter la piste, tromper les chiens, changer de forme, achever ta mue et tes métaphores et tes métamorphoses, laisser une traînée argent qui fleure la femme et les plis de la nuit, suivre un chemin de broussailles qui mène loin au fond des mythes et permet d'en sortir refaite à neuf, récurée de ta peau, marchant sanglante au rouge de tes vies, être, devenir, ne pas disparaître.
Tu n'es pas d'ici, te dis-tu. Tu le diras jusqu'à la fin des choses.
Le jour où je dirai je t'aime à un homme, je me suiciderai, dit-elle, le rire en pente.
“Je pisse d’or sur les tours. Elles sont noyées de crépuscule et d’ammoniaque.
Rejoins-moi et je te ferai mourir.”
Ève de ses Décombres, Ananda Devi
"La brûlure s'efface vite, mais pas le souvenir de la brûlure."
Eve.
Je peux être chacune des rides entaillées sur le visage de la vieille. Je peux être le flanc du chien malade qui entre profondément dans ses côtes et en ressort pour tenter de préserver le flux de la vie dans son corps. Je peux être la main mobile de l’homme, fermée, ouverte, fermée, ouverte, pour ne pas se figer tout à fait. Je peux être un bout de chemise effilochée qui traîne dans une flaque d’urine à ses côtés. Je peux être la voix du vent qui souffle sans violence et l’île qui dort sans chercher à comprendre.
C’est quand il y a trop de murs autour de vous, et des murs derrière ces murs, que les voix tiennent une conversation avec vous pour vous empêcher de basculer.
Mon Ève, qui se croit née avec de l’acier au cœur, ne sait pas que c’est le jaune et la chaleur de l’or qui vivent en elle, qu’elle ne cesse de fondre et de fuir, et que de cette fille en fusion ne restera bientôt plus qu’une flaque sans forme et sans visage.
Le sol commence à se dérober sous mes pieds et s’écroule pour de bon au moment où j’entre dans l’appartement.
Mais, après tout, il n’y a jamais eu de sol sous mes pieds.
Je ne suis pas sujette au regret. C’est perdre le temps précieux de vivre. Mais la seule vraie question c’est : suis-je sujette à la vie ?
Les parents pensent, c’était une fille normale, sans histoires. C’est précieux, pour des parents, une fille sans histoire. Ils ne connaissent pas le verso de son visage, sur lequel était inscrite la plus belle histoire de toutes. Ils ne devinent rien du sourire qui inspirait sa bouche.