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Critique de Kirzy


Kirzy
29 septembre 2023
°°° rentrée littéraire 2023 # 23 °°°

« Benjamin Rask ayant bénéficié de presque tous les avantages depuis sa naissance, l'un des rares privilèges qui lui avaient été refusés était celui de connaître une ascension héroïque : son histoire n'était pas marquée par la résilience et la persévérance, ce n'était pas la légende d'une volonté inflexible se forgeant une glorieuse destinée à partir de simples vétilles. »

Ainsi démarre la première partie de Trust, pour raconter l'histoire d'un certain Benjamin Rask, magnat de Wall Street, qui maitrise rapidement les leviers de la finance pour transformer son héritage en fortune inimaginable lors du krach boursier de 1929, entre intuitions infaillibles et magie des mathématiques. Un conte moral sur les secrets des plus riches, une prose élégante, un petit air de pastiche de Francis Scott Fitzgerald et Edith Wharton.

Et puis arrivent les deuxième, troisième et quatrième parties dont je ne dirai rien de plus car l'immense plaisir de cet exaltant roman réside justement dans son imprévisibilité. Quatre narrateurs, styles, tons, destinataires, programmes résolument différents. Ces quatre sections sont en conversation chacune avec les autres. Ce qu'une passe sous silence, une autre le trompette, là où la suivante va apporter des nuances avant qu'une autre renverse la table. Des motifs à peine perceptibles de quelques phrases se reproduisent plus tard, mais renvoyant un écho bien différent.

Comme dans un polar, le lecteur doit analyser des récits contradictoires, éviter les faux-fuyants ou les faux-semblants et rechercher les indices pour cerner les secrets bien gardés de l'élite américaine, sans jamais que le vrai ne soit réellement clarifié. La formidable quatrième partie est câblée de pièges explosifs sous les yeux grands ouverts du lecteur qui se régale de tant de virtuosité. La complexité narrative, totalement maitrisée par Hernán Diaz, est très impressionnante, d'autant que cet irrésistible puzzle n'est jamais alambiqué.

Trust pourrait relever du brillant exercice de style à la Borgès, mais son ampleur va bien au-delà. L'obsession centrale du roman se porte sur les liens et similitudes entre le domaine financier et celui de la fiction, comme semblent l'indiquer les titres à la polysémie troublante, qui font entrer dans ces mondes fictifs glissants en empruntant aussi bien à la qualité morale de la confiance qu'à des arrangements financiers.

« L'argent est une marchandise fantastique. Vous ne pouvez pas manger ou porter de l'argent, mais il représente toute la nourriture et les vêtements du monde. C'est pourquoi c'est une fiction. »

L'argent comme la fiction permettent de tordre la réalité autour d'eux, modifient la perception du monde jusqu'à pouvoir l'infléchir. L'auteur déconstruit ainsi les mythes sur la puissance américaine ainsi que les ressorts du capitalisme moderne, tout en évoquant les rapports de classe ou homme-femme jusqu'au vertige.

Epoustouflant!
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