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Critique de Passagealest


Une soirée de Coupe du monde est l'un des plus petits détails qui, comme un fil reliant les différentes perles d'un collier, rassemble les chapitres de ce roman bref et percutant, et lui donne son unité. Ce livre porte le nom de Mères, mais ses chapitres – Andreia, Lia, Dana, Alexander, Nikola, Deyann, Kalina – égrènent ceux de leurs enfants. Seul le dernier chapitre y fait exception : Yavora, le nom de l'énigmatique et adorée Yavora, qui fait le lien à la fois tangible et intangible entre tous ces adolescents, sans pourtant être l'un d'entre eux. Lien, et fermoir, car c'est avec ce chapitre où elle apparait enfin après avoir été incessamment et mystérieusement évoquée, que se résout et se clôt la structure du roman.

Jusqu'à ce dernier chapitre, on pourrait presque lire Mères comme une succession de nouvelles parallèles, chacune le portrait d'une famille de la Bulgarie ordinaire du début des années 2000.

Et quels portraits ! C'est d'abord celui d'Andreia, prise en étau entre « sa mère malade qui se mouvait comme un enfant devant elle, [et] son père malheureux qui tentait de tout son coeur de l'élever. » Puis celui de Lia, à qui ses parents aimants mais désargentés ne peuvent offrir les cours nécessaires pour développer ses dons pour la danse, puis celui de Dana, « grande, massive, masculine, … première de la classe », vivotant avec son père sur les deux cents euros mis de côté chaque mois par sa mère, garde-malade à Chypre, et ainsi de suite jusqu'à la dernière, Kalina, « cette enfant qui n'avait pas connu d'enfance » et qui s'écroule devant la responsabilité de s'occuper de sa grand-mère semi-paralysée et de sa mère frappée « d'asthme bronchique, d'un diabète avancé et d'ostéoporose. »

Si chaque chapitre est, à son tour, la description d'un univers particulier, compris entre les quatre murs d'un appartement, il est aussi celle d'un univers général, celui d'une société que la transition post-communiste a jeté dans une crise matérielle et existentielle à laquelle peu échappent.

Bien que chaque chapitre soit relativement bref (l'ensemble fait tout juste 200 pages), il rend presque immédiatement palpable chaque famille et chacun de ses membres. Par son style, le livre épouse au plus près les récits, les émotions et les besoins de ses personnages, et la lectrice se retrouve prise dans les flots de dialogues et de pensées qui se bousculent dans cette narration rapide et sans transitions (et superbement traduite par Marie Vrinat).

Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire – sur l'amertume de parents, pris, à mi-chemin de leurs vies d'adultes, dans une transition dont les bénéfices sont durs à apercevoir ; sur le rôle que joue Yavora dans la vie de leurs enfants ; sur le changement de registre qui marque la fin de chaque chapitre… Mais c'est surtout cette structure à deux niveaux que je retiendrai, avec cette immersion dans l'univers de chaque appartement et de ses occupants, et ces détails qui sentent le vécu à plein nez : une immersion qui nous fait aussi nous rendre compte à la fin des récurrences dans ces vies. Celles-ci transcendent chapitres et personnages pour mener à un chapitre final brutal et inattendu, que la traductrice Marie Vrinat compare dans son excellente postface à une scène biblique. Une scène finale d'autant plus brutale qu'elle se déroule dans un parc de la ville pendant que, devant la télévision, bière en main, les adultes regardent le dernier match de la Coupe de monde de football.

Par son style incisif et son sujet en prise avec l'actualité, Mères appartient à la même veine littéraire que deux autres romans publiés en traduction française ces dernières années par les éditions des Syrtes : La croisade des enfants de la roumaine Florina Ilis, et L'été où maman a eu les yeux verts, de Tatiana Ţîbuleac (également roumaine). Publié en Bulgarie en 2005, la traduction française parait déjà en France en 2006, et c'est à l'occasion de sa réédition en version poche l'année dernière que les Syrtes m'en ont envoyé un exemplaire. On ne peut qu'espérer que les éditions des Syrtes continueront à enrichir ce volet résolument contemporain, percutant, et féminin de leur catalogue.
Lien : https://passagealest.wordpre..
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