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Critique de Ode


"La condition pavillonnaire", comme on pourrait dire la condition carcérale, dissèque la condition féminine, et plus largement, la société française des années 1960 à nos jours. le "pavillon" est érigé en symbole d'une prison confortable dans laquelle on s'enferme volontairement en se persuadant que toutes les conditions sont réunies pour être heureux.

Ce roman raconte la vie de M.A. Marie-Ange ? Marie-Agnès ? Peu importe. Il faut entendre "Emma", car cette femme née dans les années 50 est une sorte de Mme Bovary moderne. La référence à Flaubert est explicite, avec toutefois quelques différences : M.A. travaille, n'a pas les rêves de grandeur d'Emma ni sa passion pour la littérature ; elle arrive malgré tout à survivre au départ de son amant, et aime ses enfants. Mais elles partagent une insatisfaction profonde, une quête inassouvie du bonheur auprès d'un conjoint choisi pour sa stabilité mais décevant par son manque d'imagination et de virilité.

Après une enfance plate et solitaire dans une bourgade de la région lyonnaise, M.A. a réalisé ses ambitions de jeunesse : un mari aimant, un bon métier, une maison, deux enfants... Pourtant la plénitude ne dure pas. Dans les gestes sans surprise et répétés du quotidien pointe un malaise, une soif d'aventure. L'insatisfaction la consume, la poussant à l'adultère, puis à d'autres passe-temps moins dangereux, tout en restant incapable, au fond, de partir ou de changer de vie.

Dans ce récit incisif et bien construit, qui bascule au milieu du livre, Sophie Divry s'adresse à M.A. à la deuxième personne du singulier. Tout en étant original, cela facilite l'identification du lectorat féminin. Néanmoins, messieurs, ne négligez pas ce livre, il vous apportera un éclairage assez cru sur la psychologie féminine.

L'auteur se distingue par une singulière observation du quotidien, faite de petits détails (la description d'un réfrigérateur ou d'un cycle de machine à laver) ou de distanciation (chronique sur le développement de l'automobile en France). Bien loin de Flaubert, la narration est plus proche d'Annie Ernaux dans "La place", avec l'évocation de l'ascension sociale dans une petite ville de province, la relation à son père dont M.A. a un peu honte, ou de Michel Houellebecq dans sa peinture désabusée du progrès et des rapports sociaux.

En dépit de quelques anachronismes (par exemple, en 1994 un plan social ne s'appelait pas encore "plan de sauvegarde de l'emploi", cette dénomination n'est apparue qu'en 2002), Sophie Divry, née en 1979, porte un regard d'une remarquable acuité sur une époque plus représentative de la génération de ses parents. En seulement 250 pages, le destin ordinaire de M.A. figure celui de millions de femmes avant elle, et, soyons réalistes, après elle.

Un grand merci à Babelio et aux éditions Noir sur Blanc - NOTAB/LIA pour cette opération spéciale de masse critique. "La condition pavillonnaire" est une de mes meilleures lectures de cette année; décapante, certes, mais terriblement juste.
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