Âmes sensibles, abstenez-vous de me lire, car je vais avoir la dent dure, et je tiens en préambule à m'en excuser auprès de tous les admirateurs de
la Condition pavillonnaire et de son auteur. Mais c'est sans doute ce qui fait la richesse de ce site, pouvoir s'exprimer en toute liberté et sans censure (à ma connaissance) à propos de n'importe quel ouvrage, dans le respect de nos différences.
Que
Sophie Divry tutoie son personnage principal m'a empêchée d'éprouver la moindre compassion pour cette Emma,
M-A, comme on veut. N'est pas
Flaubert qui veut, Bovary est née en 1857 sous la plume de son auteur, la condition des femmes, en 2014, a bien évolué même si rien n'est encore parfait. Ce tutoiement m'est apparu comme une distanciation, qui déresponsabilise l'auteur des propos qu'elle profère. La filiation que l'on peut lui trouver avec
Annie Ernaux m'exaspère aussi, je vous avais prévenus, je suis agacée. Rappelons qu'
Annie Ernaux s'impose comme discipline pour raconter sa honte, son enfance, sa mère alzheimerienne, son avortement avant la loi magique, sa passion pour un homme, de ne jamais utiliser d'adjectifs ou d'adverbes. Avec
Sophie Divry, on est loin de cette exigence minimaliste, elle se répand, digresse, divague quelquefois, n'hésite pas à abuser de truismes ainsi que d'incohérences lorsqu'elle parle du monde du travail, des syndicalistes.
M-A s'aime, elle n'aime même qu'elle. Elle rêve de liberté, d'amour, mais ne fait rien pour atteindre ses buts, attendant passivement que les autres, tous les autres, lui servent ses rêves sur un plateau sans qu'elle ait à s'impliquer, velléitaire et paresseuse. A l'époque de sa jeunesse, le destin des femmes était déjà, en partie, entre leurs mains et dans leur volonté de s'affirmer. de son enfance et son adolescence, j'ai retenu le mépris qu'elle éprouve pour ses parents qu'elle juge médiocres et vulgaires : “Tout te semble médiocre autour de toi, les plaisanteries que ton père tient avec le voisin, un bras par-dessus la haie, tout en lui donnant une livre de haricots verts” (p.20). Que dire de ces pôvres parents qui se sont sentis fiers que leur fille unique atteigne le niveau universitaire dans ses études, qui se sont saignés aux 4 veines pour lui permettre de prendre à l'arrache l'ascenseur social, au prix de leur sueur ? Rien.
M-A les considère comme des minus habens. D'ailleurs quand son père meurt, elle s'exclame : “Il est arrivé malheur à papa”. Comme si c'était une phrase que l'on prononce quand on apprend la mort d'un proche ! (p. 193)
Que dire de François, son mari, qui banalement aime cette femme constitutionnellement insatisfaite autant qu'il aime ses enfants, va se crever la paillasse tous les jours pour faire bouillir la marmite ? Rien selon
M-A qui le considère comme un homme faible, fâlot, sans imagination.
Le summum des poncifs est atteint dans sa description de l'adultère qu'elle vit avec Philippe. Rencontré sur son lieu de travail, ce joli coeur qui porte une montre luxueuse et des costards du bon faiseur, l'honore sur son bureau ou debout près du photocopieur. Mais où donc travaille
M-A pour pouvoir être baisée tranquillement à proximité du photocopieur sans qu'un collègue survienne ?
Je ne vais pas la faire plus longue, je sens que je m'énerve. En conclusion, j'interdis à cette femme de vouloir représenter la condition féminine, je lui interdis de généraliser à nous toutes le portrait de cette cinglée frustrée qu'elle érige en modèle de la femme au foyer, de la ménagère de moins de 50 ans, ou plus.
La condition pavillonnaire n'est pas l'explication de son mal-être. On peut être heureux n'importe où, si l'on a en soi une aptitude au bonheur, si l'on ressent un amour pour ses enfants et son compagnon, et si l'on a envie de s'exprimer de quelque manière que ce soit.
Comme je ne veux pas finir sans vous donner quelques exemples de ses affirmations, je vous livre celles-ci, qui m'ont particulièrement choquée :
p. 201 : “Tu aurais préféré tomber malade, subir une opération, devenir leucémique ; tout plutôt que cette décrépitude”. Les malades suivis en onco-hémato apprécieront, je sais de quoi je parle.
J'ai gardé la meilleure pour la fin, qu'à mon sens, il faudrait peut-être supprimer d'une future réédition, compte-tenu du contexte terroriste de l'année 2015 en France et partout dans le monde : p. 125 : “Mais tu ne vivras jamais rien d'extraordinaire, jamais tu ne gagneras au loto ou ne seras victime d'une prise d'otages qui t'aurait fait accéder à la célébrité”. Elle est bonne, non ?
Enfin, pour conclure sur une note optimiste, je signale à
Sophie Divry que le bonheur n'est pas dans l'achat d'une machine à café Nespresso (p.228), n'en déplaise à George. Les italiens et moi aussi, savons depuis toujours qu'il existe pour une trentaine d'euros, la Bialetti, cafetière italienne historique, qui fait un café parfait, dosé idéalement, sans déchet nuisible à la planète à part le marc que l'on peut jeter dans son jardin pour éviter les pucerons. Pauvre M-A, pauvre fille, je te plains.... Ton histoire m'a mise mal à l'aise jusqu'à ressentir de la glauquerie.