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Critique de Kirzy


Kirzy
26 septembre 2023
°°° Rentrée littéraire 2023 # 22 °°°

La dernière place, c'est celle qu'a prise, en dernière minute, repoussant son départ initial, la cousine de l'autrice, Niloufar Sadr, sur le vol PS752 Téhéran – Kiev qui s'est écrasé six minutes après son décollage, le 8 janvier 2020. 176 passagers étaient à bord, aucun survivant. le tir de missile était iranien, la question lancinante de l'acte délibéré reste toujours en suspens.

A partir de ces faits irréfutables, Négar Djavadi propose une plongée lucide et saisissante dans la dictature iranienne, retraçant méticuleusement les événements. A commencer par le contexte de grande tension entre l'Iran et les Etats-Unis, les Etats-Unis de Trump ayant fait assassiné cinq jours plus tôt le général Qassem Souleimani ( numéro 3 du régime, commandant du Corps des Gardiens de la révolution islamique ) et les risques de représailles et donc d'escalade sont réels. Puis les mensonges du gouvernement pour tenter de dissimuler la responsabilité iranienne.

« C'est aussi là que naît l'écriture. Dans le désir de déceler la faille tapie sous l'opacité des mensonges. Essayer d'attraper le fil qui mène à cet instant qui dérange, où la décision est prise, où le crime s'est noué. »

Surtout, elle décortique les mécanismes de la colère du peuple qui explose à travers le cri « Khodeshoun kardan » ( Ils l'ont fait eux-mêmes ! ), mantra d'une société à la fois épuisée et éruptive qui sait que le gouvernement iranien est capable de toutes les supercheries, toutes les déformations, toutes les violences et toutes les manipulations, « une phrase qui finit toujours par s'avérer vraie ».

L'autrice analyse ainsi les manifestations qui éclatent dans les jours qui suivent le crash avec celles de novembre 2019 ( contre l'augmentation du prix des carburants ) et bien évidemment celles liées à la mort de Mahsa Amini depuis septembre 2022, comme si l'incendie de la contestation du régime ne s'était jamais éteint et repartait de plus belle à la moindre étincelle. C'est le traumatisme des révoltes écrasées précédemment, des crises qui se sont empilées, du désespoir grandissant d'un peuple réprimée qui s'exprime.

Mais le texte n'est pas qu'une analyse géopolitique, politique et sociétale. Négar Djavadi mêle brillamment deuil personnel et deuil collectif de tout le peuple iranien.

«  Les livres sont comme des cimetières où on rend visite aux morts ».

Elle redonne vie à l'individu, contrôlé, étouffé sous une dictature, ici sa cousine Niloufar dont on découvre le nom, le passé, les opinions, le ressenti. L'autrice évoque également la douleur de l'exilé, elle qui est arrivée en France en 1990 à onze ans.

Derrière la pudeur et la sobriété affichée par l'autrice, l'émotion est en embuscade, encore plus forte lorsqu'on se rappelle la citation de Milan Kundera qui ouvre le livre : «  la lutte de l'homme contre le pouvoir est la lutte de la mémoire contre l'oubli. » L'écrivaine est là pour protéger la mémoire collective niée par le régime iranien qui cherche autoritairement à imposer un récit officiel réécrivant L Histoire. Avec son livre où l'intimité devient collective, Négar Djavadi extrait la vérité et la remonte puissamment à la surface. Pour toujours.

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