Citations sur La cité des nuages et des oiseaux (240)
Il découvre que c'est par l'oubli que le monde soigne ses plaies. (p. 653)
Sous les phrases raturées, une main d’enfant a inscrit dans la marge la nouvelle réplique d’Aethon : « Le monde tel qu’il est me suffit. »
« Un reposoir, dit-il enfin. Tu connais ce mot ? Un lieu de repos. Un texte – un livre – est un lieu de repos pour les souvenirs de ceux qui ont vécu avant nous. Un moyen de préserver la mémoire après que l’âme a poursuivi son voyage. »
Alors il ouvre grand les yeux, comme s’il contemplait le fond de ténèbres infinies.
« Mais les livres meurent, de la même manière que les humains. Ils succombent aux incendies ou aux inondations, à la morsure des vers ou aux caprices des tyrans. Si personne ne se soucie de les conserver, ils disparaissent de ce monde. Et quand un livre disparaît, la mémoire connaît une seconde mort. »
" Je sais pourquoi les bibliothécaires t'ont lu ces vieilles histoires : si elles sont bien racontées, celui qui les écoute reste en vie aussi longtemps que dure le récit."
La barque se balance et une cloche sonne un coup quelque part dans la ville comme si c'était à l'autre bout du monde. Des images affreuses suintent des catacombes de son esprit : des fantômes aveugles, et ce chambellan diabolique sur son trône d'ossements, la bouche noircie par le sang des enfants. (p. 169)
Anna est médusée. Depuis sa naissance, on tâche de la persuader qu'elle a vu le jour dans un monde qui s'achève : fin d'un empire et d'une époque, fin du règne de l'homme sur la Terre. Mais l’enthousiasme qui irradie de ce scribe lui laisse penser que, dans une ville telle qu’Urbino, bien loin d'ici, d'autres possibilités existent peut-être, et elle rêve tout éveillée, survolant la mer Égée au-dessus des navires, des îles et des tempêtes, le vent s'engouffrant entre ses doigts écartés, pour se poser enfin dans un palais pur et radieux où règnent Justice et Tempérance, et dont les salles sont garnies de livres que chacun peut consulter librement. (p. 201)
À chaque signe correspond un son, associer les sons revient à former des mots, et en associant les mots on finit par bâtir des univers.
Il aurait dû prendre davantage de risques. Il lui a fallu une vie entière pour s'accepter tel qu'il est, et il constate avec surprise qu'aujourd'hui il en est capable, pourtant il n'aspire pas à vivre une année, ni même un mois, de plus : ces quatre-vingt-six ans lui suffisent. Au cours d'une existence, on accumule une infinité de souvenirs, le cerveau ne cesse de les trier, pesant les répercussions et refoulant la souffrance, mais à l'âge qu'il a atteint, on traîne malgré tout une charge écrasante de souvenirs, un fardeau aussi lourd qu'un continent, et le moment vient où il faut quitter ce monde en les emportant avec soi.
La route menant aux débarcadères de la Corne d’or coupe un cimetière chrétien qui fait office d’hôpital de campagne en plein air. Blessés et agonisants gisent parmi les vieilles pierres tombales : Macédoniens, Albanais, Valaques, Serbes, certains en proie à de si vives souffrances qu’ils perdent quelque chose de leur humanité, comme si la douleur effaçait leur identité même, aplanissant les différences telle une couche de mortier
"Tu te bourres le crâne de choses inutiles ", lui chuchote Maria. Peut-être - mais le point de chaîne câblée, le point noué et le point de marguerite, Anna ne les apprendra jamais. Quand elle manie l'aiguille, son talent le plus sûr consiste à se piquer accidentellement le bout du doigt et à tâcher l'étoffe de sang. Sa sœur a beau l'inviter à imaginer les saints hommes célébrer la divine liturgie dans les vêtements qu'elle a contribué à orner, il faut toujours que l'esprit d'Anna mette le cap sur des îles lointaines où coulent de délicieux ruisseaux, et où les déesses descendent des nuages sur un rayon de lumière.